Pour les plaisirs du Roi
obtenu de garder la main sur certaines affaires, à la condition d'en produire les détails à son successeur et c'était à ce titre qu'il me recevait ce jour. Je lui fournis par ailleurs mille détails sur la cour de Wurtemberg et je lui dépeignis quelques courtisans remarquables. Mon tableau lui plut en tout, particulièrement lorsque j'abordai la description des rapports difficiles du duc avec les émissaires prussiens.
Je n'oubliai pas non plus de signaler la mauvaise volonté de notre ambassadeur, ce qui ne le surprit pas. Il me questionna également sur les joies de la vie wurtembergeoise, point sur lequel je fus moins loquace que dans le chapitre précédent. Je décrivis cependant la beauté des femmes allemandes avec suffisamment de conviction pour qu'il soupçonnât que j'en parlais d'expérience. Enfin, avant de nous séparer, il me témoigna avec beaucoup d'élégance la preuve de sa gratitude en me remettant un pli cacheté dont il me dit qu'il contenait un juste dédommagement pour ma peine. J'ouvrais la lettre dans ma voiture : jointes à un billet à ordre de cinquante mille livres, quelques lignes de remerciements du roi lui-même. Cette belle reconnaissance est encore aujourd'hui un de mes plus précieux viatiques face à ceux qui me supposent seulement cupide. Peu de temps après, le comte de Broglie me fit des avances afin de savoir si j'accepterais de rejouer un rôle dans une affaire délicate. M. de Richelieu, pour qui j'avais peu de secrets, me le déconseilla.
— À ce jeu-là, le coup d'essai doit demeurer un coup de fin si on ne veut perdre toute la mise, me confia-t-il.
Je suivis adroitement ses recommandations car, sans heurter M. de Broglie, je déclinai la proposition, arguant que Paris me retenait pour de très sérieuses raisons. Et quoi de plus sérieux que le plaisir ?
Comme je l'avais spéculé en quittant Paris, mon retour fit de moi une personne à la mode. Dans cette cité où la nouveauté se consume en quelques jours, ma réapparition et le récit de mon voyage me firent rechercher de la bonne société. D'autant qu'il s'était répandu les rumeurs les plus absurdes sur les motifs de mon départ. Pour les uns, j'avais fui Paris à cause d'obscures raisons dont les plus informés murmuraient qu'elles étaient liées à une affaire d'adultère. D'autres juraient avoir entendu que l'on m'avait embastillé. Chez certains, le roman était plus vrai que nature puisqu'ils assuraient savoir que j'étais parti en Allemagne afin de rejoindre nos armées. Dans cette galerie de fables, la plus charmante était celle qui me donnait pour mort de la petite vérole. Bref, le beau monde me retrouva avec plaisir, et il n'y eut que quelques balourds pour me demander des nouvelles de ma santé.
Au détour d'une soirée animée chez Mme de Marchainville, je croisai Marguerite qui m'ignora superbement. N'étant pas homme à laisser filer les choses, je la rejoignis dans un petit salon, profitant qu'elle fut en conversation avec une de ses protégées, la belle Amarys. Je les saluai avec grâce, et seule Amarys me répondit du même ton. Marguerite demanda alors à son élève d'aller l'attendre dans le salon de jeux. À peine fûmes-nous seuls qu'elle me reprocha ce qu'elle appelait ma trahison. Elle n'avait pas de mots assez puissants pour fustiger ma conduite, mais surtout l'absence de nouvelles depuis près de cinq mois. Il est vrai qu'après le premier mois à Ludwigsburg je cessai ma correspondance avec elle, car je craignais d'être espionné. Elle ne voulut rien entendre : elle me lança vertement qu'elle s'était très bien passée de mes services depuis, et qu'il n'y avait aucune raison que cela ne continuât désormais. Je lui fis remarquer que le sujet n'était pas là, d'autant qu'à ce propos j'avais des projets en tête. Cette confidence l'ulcéra au plus haut point encore et elle tourna les talons sans qu'il me fût possible d'en dire plus. Ce petit scandale me contraria un peu, bien qu'il se fût depuis longtemps fait jour dans mon esprit que notre collaboration ne pourrait durer.
Au cours de mon exil à Ludwigsburg, j'avais eu le loisir de réfléchir à la suite de mes activités. J'appréciais Marguerite, mais mon souhait de m'affranchir de sa tutelle était plus fort : mes relations et mon nom suffisaient désormais à entretenir mon commerce personnel, d'autant que je revenais avec suffisamment de moyens pour monter, équiper et loger mon propre régiment galant.
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