Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Pour vos cadeaux

Pour vos cadeaux

Titel: Pour vos cadeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Rouaud
Vom Netzwerk:
nos yeux les pièces de
monnaie, qu’il tenait, main levée, entre le pouce et le majeur, et faisant
claquer ses doigts, pfft (c’est lui qui parle), plus de pièce. Et bien entendu
nous regardions au plafond, cherchions par terre sous son établi, tournions et
retournions ses mains ouvertes, avant de conclure à l’évidence de cette
dématérialisation spontanée et de le supplier de faire réapparaître ladite
pièce. Il suffisait de demander. Il fouillait un instant l’air de son bras,
faisait semblant d’y repérer quelque chose et hop (il improvisait lui-même ses
répliques), comme s’il avait attrapé un moustique à deux doigts, exhibait à
nouveau la pièce sous nos yeux, ou une autre d’une autre valeur, se ravisant,
s’excusant de sa méprise, faisant disparaître l’erreur avant de fouiller à
nouveau l’espace.
    Nous l’admirions d’autant plus qu’il se montrait largement à
la hauteur de la concurrence. De temps à autre de petits cirques posaient leur
chapiteau au milieu de la place – et parfois pas de chapiteau du
tout, juste des bancs disposés en cercle –, après que, l’après-midi, une
camionnette eut sillonné les alentours annonçant par
haut-parleur – un mégaphone tenu par le chauffeur lui-même, qui
conduit d’une main tout en ressassant son message par la vitre
baissée – une représentation exceptionnelle, ce soir à vingt et une
heures, mais avec un tel abus de superlatifs qu’on finissait par se méfier. Les
affiches placardées quelques jours auparavant avaient beau exhiber sur fond rouge
et jaune des tigres féroces sautant la gueule ouverte à travers des cerceaux
enflammés, des hommes-oiseaux volant d’un trapèze à l’autre, des clowns au nez
rouge riant jusqu’aux oreilles, des éléphants en équilibre sur la trompe, des
prestidigitateurs faisant disparaître le « Titanic », la
représentation se réduisait à un maigre cheval attifé d’un plumet tournant
autour de la piste, tandis qu’une écuyère debout sur sa croupe envoyait des
baisers au rare public disséminé sur les bancs de bois et qu’un docile petit caniche,
coiffé d’un huit-reflets, la taille ceinte d’un tutu vaporeux, se demandait
quand est-ce qu’il allait pouvoir enfin marcher comme tout le monde,
c’est-à-dire à quatre pattes. Et pour qu’on n’oublie pas que la soirée était
placée sous le signe de la joie, entre chaque numéro il fallait supporter
l’apparition bruyante du clown de service, s’emmêlant les pieds dans ses
gigantesques chaussures jaunes et hurlant Bonjour les petits enfants, ou
quelque chose de ce genre, mais le spectacle était si pitoyable qu’au final on
s’efforçait d’applaudir de toutes nos forces pour qu’ils, les gens du cirque,
partent sur une bonne impression et ne nous accusent pas d’être prétentieux.
    De notre déception nous finissions par rendre responsable la
télévision, dont l’oncle Emile, qui méprisait le téléphone, avait été l’un des
tout premiers dans le pays à acquérir un poste. Un événement – un
monument aussi, qui exigeait à peu près autant de bois qu’une armoire normande
en dépit d’un écran grand comme une carte postale – qui lui valait
certains soirs d’accueillir un public aussi nombreux et intrigué qu’à la
première de l’invention des frères Lumière au Grand Café, les chaises étant
disposées autour de la table de la cuisine, et certaines fois il nous fallait
même en apporter. En tant que cousins et voisins, nous étions bien sûr parmi
les plus assidus, et spécialement la soirée du mercredi, veille du jour de
congé, qui était consacrée au cirque, justement, alors forcément, tous ces
numéros prestigieux en provenance du monde entier débarquant à domicile, c’est
sûr, il en fallait beaucoup désormais pour nous épater. Mais, plus que les
numéros, ce qui impressionnait l’oncle Emile, c’était le monsieur Loyal qui
menait avec élégance cette parade prodigieuse, et dont les poches sous les
yeux, que l’on essayait d’imiter en se remontant les joues, était la source
d’importants commentaires. Quand les femmes se demandaient avec effroi si ce
n’était pas là la conséquence d’une vie de grand débauché, l’horloger
diagnostiquait avec assurance : pas du tout, c’est
cardiaque – en quoi, comme Rimbaud entrevoyant son destin de féroce
infirme à son retour des pays chauds, il se montrait étonnamment prémonitoire
puisque c’est

Weitere Kostenlose Bücher