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Pour vos cadeaux

Pour vos cadeaux

Titel: Pour vos cadeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Rouaud
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du cœur qu’après plusieurs alertes lui-même partit –, de sorte
que, par cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête comme des sacs
de larmes sous ses yeux, le présentateur héroïque, dont maman, arrivée en
retard pour cause de vaisselle, appréciait en digne fille de tailleur la coupe
impeccable des costumes aux revers satinés (on devait souvent lui demander, à
notre mère, de se taire au moment d’un roulement de tambour annonçant un
exercice hautement périlleux), se transformait en une espèce d’amiral Nelson
dirigeant la bataille de son tonneau rempli de son, ou bien en Molière crachant
le sang à la dernière du « Malade imaginaire ». D’autant que son
talent nous le placions volontiers à la hauteur de nos plus grands poètes pour
cette dextérité à tourner les compliments, à annoncer en vers de mirliton les
prochains numéros et à émailler ses interventions de mots éblouissants, du
genre : si les fantastiques Orsini, ou les fabuleux, ou les mirobolants,
n’existaient pas, il faudrait les inventer, ce qui, à huit ou neuf ans, et pour
peu qu’on l’entende pour la première fois, passe pour un feu d’artifice de
l’esprit. Et peut-être, en souvenir de son enfance solitaire, l’oncle Emile,
comme son illustre modèle, s’essayait-il en cachette à tourner des vers. Car il
lui arrivait de nous sortir un quatrain humoristique de sa composition,
transcrit de son élégante calligraphie sur une étiquette blanche à fil rouge
qu’il fixait d’ordinaire, porteuse du prix, à ses montres. Ce dont il se
montrait légitimement plus fier que de cette autre prouesse, inégalée à ce
jour, qui consistait à fumer par les oreilles. Glissant la cigarette dans
l’une, la fumée ressortait par l’autre. Mais dans ce cas, à part un conduit
auditif percé de part en part, on ne voit vraiment pas comment il pouvait s’y
prendre.
    Il multipliait ainsi les passes magiques, notamment quand on
lui apportait une montre arrêtée qu’il ouvrait, époussetait à l’aide d’une
petite poire munie d’un fin tuyau, et la mécanique se remettant en marche, le
balancier reprenant son mouvement de pompe à pétrole miniature pour extirper
une goutte de temps, à l’heureux propriétaire s’inquiétant du coût de la
réparation, après avoir longuement réfléchi et semblé additionner du bout des
lèvres des sommes astronomiques, ça fera un Pater et trois Ave. Les habitués
connaissaient depuis longtemps le tarif, mais cela faisait partie du rituel,
dans lequel chacun tenait son rôle, de paraître soulagé de s’en tirer à si bon
compte. Et c’est cet homme, dont la vie était réglée comme une horloge (il
avait d’ailleurs en charge la bonne marche de celle de l’église, ce qui
l’obligeait à grimper trois cents marches en tirant la jambe pour parvenir en
haut du clocher), qui ne manquait pas un office, pas une cérémonie chaque fois
que sa présence à l’orgue était réclamée, soit tous les matins et trois fois le
dimanche, plus les mariages, les baptêmes et les enterrements, qui chantait les
cantiques, tout en s’accompagnant au double clavier, d’une voix de baryton
d’opérette, modulant exagérément son chant de telle sorte que dans les
pianissimos on se demandait s’il ne lui était pas arrivé quelque chose, avant
qu’un accent fougueux trois mesures plus loin nous rassure, qui chaque samedi à
midi descendait le bourg de sa démarche balancée pour prendre un apéritif entre
amis au café et y disputer une partie de cartes qu’aussi passionnée fût-elle il
interrompait au milieu d’un pli quand il était l’heure pour lui de rentrer, qui
lorsqu’il perdait une minuscule pièce d’horlogerie suspendait bras écartés tout
déplacement dans le magasin, jusqu’à ce que sa mère, balayette en main, passant
le sol au peigne fin, eût retrouvé l’infime rouage, qui jouait avec notre petit
ratier noir et blanc, appelé Pyrex, lui glissant sous la porte des toilettes,
dans la cour, un sucre que le petit chien attendait en reniflant, qui vantait
le chocolat suisse, la Suze, les pianos Petroff, la Sonate au Clair de lune,
« Les Cloches de Corneville » dont il chantait l’air le plus
célèbre : J’ai fait trois fois le tour du monde, modifiant le texte dans
un sens moins distingué pour nous faire rire, qui roulait dans une Aronde Simca
que ses femmes astiquaient comme de l’argenterie et recouvraient d’une housse
parfaitement ajustée

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