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Pour vos cadeaux

Pour vos cadeaux

Titel: Pour vos cadeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Rouaud
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coffre n’ait
jamais été un secret, et que nous ayons appris à compter à haute voix en même
temps que nous écoutions les cliquetis égrenés des quatre serrures brouillées
qui conditionnaient l’ouverture de la lourde porte. Mais au cours de cette
période sombre les emprunts s’accumulent. Inutile de les éplucher pour
comprendre ce qui se passe, et qu’un mois à La Bourboule en pension complète à
quoi s’ajoutent les frais de cure et de transport, c’est beaucoup pour la seule
caisse du magasin. Les dates de reconnaissances de dettes concordent. Il suffit
d’imaginer le jeune père, seul à la maison, refaisant ses comptes, le soir, et
se demandant comment il va bien pouvoir joindre les deux bouts. Ne pas
forcément s’étonner si à quelques temps de là, ayant tout juste franchi le cap
de la trentaine, ses cheveux, dans lesquels en signe d’embarras il passait une
main aux doigts écartés, étaient devenus comme neige.
    A peine le temps de souffler un peu et, quelques mois plus
tard, malaises et vomissements, c’est reparti. Bien sûr, le mot d’ordre se veut
rassurant : pas d’inquiétude, on y arrivera, mon petit Loup chéri, qui
trouve décidément barbare ces procédés de reproduction, tandis qu’il se passe
la main dans les cheveux et s’étonne qu’elle ne soit pas tachée de noir (car
enfin, où passe la couleur ?). Mais difficile, cette fois encore, d’avoir
recours aux emprunts, d’autant que les amis pourraient commencer à se lasser,
qu’il faut de toute manière, à moins de se lancer dans la cavalerie – ce
qui n’est pas son genre –, rembourser. Ne lui reste donc plus qu’à
envisager l’ultime solution, celle qu’il a longtemps repoussée pour demeurer
près des siens, laquelle consiste à laisser le magasin au petit Loup, lui
partant négocier ailleurs sa force de travail.
    A La Baule, par exemple, station balnéaire renommée pour sa
longue plage de sable fin, dont, au cours de l’été cinquante-deux, il s’occupa
à la requête d’un de ses anciens camarades de combat – seule occasion
où la guerre lui renvoya autre chose que du temps perdu, fors le petit Loup,
bien entendu. Pour y faire quoi, au juste ? Sans doute quelque chose en
rapport avec les concessions accordées aux clubs nautiques, les autorisations
aux vendeurs ambulants, la location des cabines et des pédalos, un poste d’économe
ou de contrôleur, mais de toute manière nous savons qu’il dut faire merveille,
et que la plage y gagna sans doute ses galons de plus belle plage d’Europe. Car
partout où il passa il en fut ainsi (pour mémoire, cette lettre de condoléances
adressée à notre mère du directeur de la Maison des Instituteurs pour laquelle
il avait vendu, cinq ans plus tôt, des tableaux pédagogiques en démarchant les
écoles libres : Ce décès subit nous a beaucoup peiné, car nous avions
trouvé en votre mari un représentant d’une classe exceptionnelle en plus d’un
homme extrêmement sympathique), donc on ne se fait pas de souci : la plage
de La Baule fut exceptionnellement bien tenue, nous ne pouvons que nous en
féliciter. Mais, cette idée des bains de mer, c’est la preuve qu’il n’avait pas
encore renoncé à appliquer le programme familial d’Alfred Brégeau, à faire
aussi bien, à offrir à son épouse une sorte de citation, une piqûre de rappel,
une rime riche à ses souvenirs de vacances (riche, car La Baule, c’est
autrement plus valeureux que Préfailles). Mais en fait l’expérience ne fut pas
reconduite, sans doute parce que la redite, cette volonté de retrouver ce qui
n’est plus, est souvent maladroite et peut même se révéler mal venue si elle
altère la beauté d’un souvenir, sans doute aussi parce que
nous – j’étais du voyage, aux eaux, moi aussi, mais matricielles, et
si l’on se livre à un rapide calcul, naissance le treize décembre, d’où
conception à la mi-mars, aux grandes vacances je devais mesurer autour de vingt
bons centimètres (aucun souvenir, cependant) – fîmes la moue (sable
dans les souliers, humidité, et ces bathing beauties qui lui tournaient
autour). Et d’ailleurs nous ne remîmes plus jamais les pieds dans l’eau.
Souhaitons que ses activités permettaient à notre père de piquer une tête dans
les rouleaux, le soir, une fois les parasols et les matelas rangés. Parce
qu’après, c’en est fini des bains.
    Mais où l’on voit que, dans ce match mer-montagne, notre
mère renvoyait

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