Pour vos cadeaux
dos à dos les irréconciliables partisans de l’un et de l’autre
(exemple : Chateaubriand le Malouin, et Rousseau le Savoyard). Elle
n’était pas du genre à se laisser bercer par les illusions romantiques. La
contemplation de l’océan ne l’absorbait pas plus de cinq secondes, ne lui
arrachait aucun commentaire particulier, ce qui de son point de vue signifiait
quelque chose comme : bon, d’accord, c’est vaste, ça bouge tout le temps,
mais ça n’est que de l’eau. On ne l’imagine pas plus arpentant le bord de mer,
cheveux au vent, offrant son visage aux embruns, que profitant de son séjour
dans la station thermale du Puy-de-Dôme pour escalader les monts qui
l’entourent et au sommet de l’un d’eux saisie par un vertige ontologique en
découvrant cette mer de nuages à ses pieds, remettant en question sa vision
matérielle du monde. Aussi bien ici que là-bas, dépossédée de son emploi du
temps, elle s’était profondément ennuyée, et toute la littérature sur le sujet
ne la ferait pas changer d’avis. Le monde, on l’éprouve, ce qui justifiait ses
propos bien sentis, à quoi s’ajoutaient, pour boucler son interprétation
empirique de l’univers, quelques évidences massives sur lesquelles il n’y avait
même pas matière à discuter. A sa sœur en compagnie de laquelle elle avait
l’habitude le dimanche de faire une promenade jusqu’au cimetière, devant la
tombe de celui qui avait été son mari, elle confia ainsi, pointant d’un
mouvement du menton la dalle de granité : pour moi il n’y a plus rien,
alors qu’il y avait près de trente ans qu’elles accomplissaient le même rituel,
toutes les deux. Du coup, il était vain devant elle de se payer de mots, de
tenter une envolée lyrique, elle ne laissait pas passer grand-chose. Sans doute
un héritage de sa mère, laquelle avait dépensé beaucoup de son énergie à
rattraper le manque de sens pratique de son curieux mari. Mais toute
formulation d’une pensée un peu rêveuse, moins dans le but d’y croire que de
desserrer l’étau du réel (évoquer la possibilité d’une activité future sortant
de l’ordinaire, par exemple), était sanctionnée de sa part par un haussement d’épaules
sans appel. Apprenez donc à être simples. Ce qui est contraignant, ne favorise
pas les élans, rogne les ailes, n’autorise pas le droit aux tâtonnements, mais,
à l’usage, se révèle une position stratégiquement avantageuse. Si l’on évoque
devant vous de fantastiques vacances à la mer ou à la montagne, vous pensez
aussitôt à votre petite maman qui ne s’en laissait pas conter, soupirant au
bout de la jetée ou au fond de la vallée.
Ce qui n’empêche que, plutôt que ce panorama de l’ennui,
nous aurions aimé qu’elle rapportât de La Bourboule le souvenir d’un bonheur
partagé, grandissant en même temps que s’améliorait la respiration de la petite
curiste, souvenirs de promenades dans la campagne aux alentours, de
conversations avec l’enfant, de ses bons mots, de repas pris en commun dans la
salle du restaurant, d’histoires racontées à son chevet, le soir, dans la
chambre de l’hôtel, tandis que la nuit tombe sur la ville, et que l’enfant
s’endort sans même attendre la fin des aventures de Boucle d’or, de sorte que
vous déposez délicatement un baiser au coin de sa bouche, avant de vous glisser
sous l’imposant édredon, un livre ouvert retourné sur le drap, guettant dans le
silence, rompu de loin en loin par le passage d’une automobile, l’écho régulier
du petit souffle fragile. Ce qui était sans doute le cas, mais visiblement ne
suffisait pas à combler le vide de ses journées.
Il y a une photo d’elle, prise dans la cour, à Campbon, sur
laquelle elle tient un bébé dans ses bras – Nine, si l’on se réfère à
la date inscrite au verso. Déjà, au premier coup d’œil, il est visible que les
craintes de notre père étaient fondées et qu’il n’a pas totalement réussi son
coup, c’est-à-dire cette transition sans dommage d’une maison à l’autre. Notre
mère en blouse, à moins de penser qu’à Riaillé ils ne prenaient des photos
qu’en tenue du dimanche, c’est de l’inédit. Faisons-lui confiance, bien qu’on
ne lui voie pas les pieds, elle porte certainement ses petits talons, mais on
ne peut s’empêcher de penser, devant cette relative déperdition, qu’entre son
ancienne et sa nouvelle vie, d’un strict point de vue vestimentaire, elle
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