Pour vos cadeaux
a
perdu au change. La coiffure aussi est moins savante, moins apprêtée, si l’on
compare avec celle du temps de ses fiançailles. A sa décharge, la mode a
évolué, on ne roule plus les cheveux façon studio Harcourt, et la commune
recense deux coiffeurs pour hommes, dont l’un est sabotier et l’autre
maraîcher – autant dire que, couper les cheveux comme l’on taille une
bille de bois ou les branches d’un cerisier, le résultat s’en ressent –,
et une coiffeuse pour dames qui est parfaite surtout pour notre blanche Tante
Marie, laquelle ressort de chez sa vieille amie, dont le salon jouxte un débit
de boisson, les cheveux violets, si bien qu’une fois tous les deux ou trois mois,
un jeudi, maman prend le car qui assure la navette entre Campbon et Nantes,
conduit par son propriétaire dont le nom scolairement calligraphié s’étale sur
la carrosserie, d’où elle revient le soir solidement permanentée, de quoi durer
presque aussi longtemps que l’odeur entêtante des petits calendriers parfumés
du salon de la rue de Verdun qui imprègne le cuir de son sac à main. (Plus tard
elle y emmènera ses filles, et, papa ayant ses habitudes ailleurs, à moi le
maraîcher auquel il n’était nul besoin de répercuter la consigne : bien
dégagé au-dessus des oreilles, c’était inné chez lui, d’autant qu’il officiait
d’une main leste, gardant par la fenêtre ouverte un œil sur ses jardins, son
fusil appuyé contre le fauteuil, prêt à épauler dès qu’il apercevait un merle
voletant autour de ses arbres fruitiers).
Mais la blouse et la coiffure, ce ne serait rien, ni la
bassine émaillée sur le rebord de la fenêtre dont nous nous doutons qu’elle
sert à laver le linge délicat du bébé, ni le mur taché par l’eau qui ruisselle
du toit. Il suffirait d’un sourire à l’intention du photographe ou d’une
risette à l’enfant et tout s’effacerait de ces petits accommodements avec
l’existence. Comme elle se présente de profil, penchée au-dessus de son bébé
dont grâce à ce plan nous pouvons entr’apercevoir le nez et les yeux clos
émergeant d’un bonnet de coton, on peut accorder à la jeune maman le bénéfice
du doute, mais on cherche en vain une petite ride au coin de la bouche, un
trait d’ombre qu’on pourrait interpréter comme le signe d’une expression béate.
Peut-être faut-il en rendre responsable son étonnement. D’ailleurs elle tient
l’enfant comme une débutante, qu’elle est, de fait, puisqu’elle n’a pas eu le
temps avec le précédent d’affûter ses gestes tendres. Un peu gauche, un peu
distante, retenant peut-être ses effusions, embarrassée, pas vraiment à son
affaire, pas vraiment dans son élément. Il apparaît que c’est un talent de
savoir cajoler un enfant, le bercer, inventer pour lui une foule de diminutifs,
lui chantonner des chansons douces, attendre patiemment qu’il ait fini de
mastiquer avant de lui tendre une autre cuiller, c’est un don, comme le dessin,
la poésie ou l’art d’accommoder les restes.
D’autant qu’elle n’était pas au bout de ses peines. Après,
c’est la nuit du treize décembre, et le vent d’Atlantique qui arrache les fils
électriques et téléphoniques, obligeant le père à courir chercher le médecin,
tandis que son épouse se tord dans les douleurs (et comme elle ne les
souhaiterait pas à sa pire ennemie on comprend qu’il doit faire vite) dans la
chambre du premier étage donnant sur la rue, manquant au passage d’être
décapité par les ardoises qui volent de tous côtés, du moins si l’on en croit
son récit, car après tout nous n’avons que son témoignage, mais on se dit que
face à cette femme qui pour la quatrième fois remet sa vie en jeu il cherche à
donner de l’importance à son rôle de factotum, ce qui s’apparente presque à un
détournement car, enfin, il ne faut pas confondre. Or, grâce à son petit récit,
c’est lui qui soudain devient le trompe-la-mort. Mais ce qui nous a un air de
déjà vu, cette nuit de fureur, du moins de déjà lu, où cependant c’est
quelqu’un d’autre qui brave ainsi la tempête, savoir Clotilde, la mère d’Emile.
Car, en fait, contrairement à ce qui a été écrit sur ce lendemain de Noël où
disparaît brutalement le père héroïque, la nuit de sa mort était une belle nuit
claire, étonnamment douce pour cette période de l’année, on est donc obligé de
constater qu’il a été procédé à un troc nocturne,
Weitere Kostenlose Bücher