Pour vos cadeaux
qu’une fois en présence du client
qu’éventuellement elle rectifie le tir, en riant, oh excusez-moi, monsieur.
Et, bien sûr, personne ne lui en veut. Sinon nous, un peu.
Qui l’avons accompagnée dans cette traversée des ténèbres, qui d’une certaine
manière sommes descendus avec elle dans la tombe où tout est sombre et
silencieux, comme la mort, d’où nous avons cru, comme elle, qu’elle ne
ressortirait jamais, qui l’avons vue, pourtant, avec soulagement, revenir à la
surface de la terre après ces dix longues années de remontée, et lancer son grand
rire moqueur, prendre la vie, comme ses colis, à bras-le-corps, et courir,
courir, tandis que c’est nous, sonnés bien plus qu’elle peut-être, qui peinions
à regagner nos existences. Car la menace entendue par la petite fille au retour
de l’école, alors qu’elle traversait en sautillant le magasin, la jeune veuve
l’avait formulée autrement devant la dalle de granité gris qui devenait notre
lieu de pèlerinage dominical, et où nous nous livrions à un peu de jardinage,
arrachant les mauvaises herbes autour des pieds de bégonias plantés dans la
jardinière devant la sépulture, changeant l’eau des vases dans lesquels des
fidèles du défunt continuaient de déposer des fleurs fraîches, avant de
terminer notre visite par une minute de silence recueillie pendant laquelle la
figure de notre père s’entourait d’un halo propre aux sanctifiés. Et c’est ce
moment plein de gravité, entièrement occupé par l’idée de la mort, qu’elle
avait choisi pour nous suggérer, son tour venu, que nous gravions son nom
symétriquement à celui du disparu, de l’autre côté du pied de la croix couchée,
se penchant pour bien nous montrer l’emplacement, à gauche, vierge de toute
inscription, nous annonçant presque sous la date de sa naissance celle de son
départ prochain.
Or vous avez entre dix et quatorze ans et, après ce que vous
venez de subir qui remonte à un mois ou deux, peut-être, après ce coup terrible
que vous venez de recevoir sur la tête, il vous semble que l’urgence n’est pas
là. Il vous semble que ce n’est pas trop abuser que d’espérer un délai de
grâce. Alors, en prenant un air détaché, vous déclarez que vous n’êtes pas
pressés, et vous vous regardez tous en souriant, comme si par ce pauvre mot à
l’esprit convenu vous vous faisiez fort de retarder au plus loin l’échéance.
Mais ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Sentant confusément que ce
n’est pas dans la poche, ce sursis que vous venez de réclamer, vous vous
constituez bientôt en garde rapprochée, veillez sur la survivante comme sur une
candidate au suicide, organisez des tours de garde, faisant en sorte de la
laisser seule le moins possible, de sorte que vos vacances, pourtant votre
alternative au pensionnat honni, vous les passez près d’elle, et ne sollicitez
même pas d’aller voir ailleurs, à la plage ou à la neige, où de toute façon
l’ennui serait aussi grand. Car, depuis ce lendemain de Noël, c’est comme si
vous étiez à l’ombre à observer la vie se dorer au soleil. Vous n’avez donc
rien trouvé de mieux que de demeurer à l’écart, où du moins vous n’avez pas
d’explications à donner. C’est le tribut, cette solitude, que vous acquittez
pour n’avoir pas à avouer que vous n’y arrivez pas. A quoi ? A faire avec.
Les vacances, vous les passez donc enfermés dans la demeure
familiale. Les événements étant rares, vous devez en tirer un profit maximum.
Les trois premières semaines des congés d’été, vous pouvez ainsi compter sur le
Tour de France, qui revient fidèlement chaque année – il n’y a que
les guerres pour l’arrêter, et on comprend pourquoi, car il se trouverait toujours
un tireur embusqué sur un toit pour faire un carton sur le maillot
jaune –, dont l’arrivée de l’étape du jour est retransmise en direct sur
l’unique chaîne de télévision, laquelle, sur les conseils de l’oncle Emile, a
fait son entrée depuis peu à la maison. Pour saluer l’événement, Marc-Antoine
Charpentier a composé tout spécialement un Te Deum dont les timbres flamboyants
signalent que les coureurs sont en vue de la banderole annonçant les vingt
derniers kilomètres. Ce qui, de notre point de vue, n’est jamais assez. Notre
seul espoir c’est que, coup de fatigue ou mauvaise humeur, le peloton aura
flemmardé sur la route, arrivant plus tard que prévu,
Weitere Kostenlose Bücher