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Pour vos cadeaux

Pour vos cadeaux

Titel: Pour vos cadeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Rouaud
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repoussant ainsi la fin
de la retransmission jusqu’à presque faire la jonction avec le programme du
début de soirée. Autant dire, dans ce cas de figure idéal, que votre après-midi
est sauvé. Car à partir de là vous n’avez plus de souci à vous faire. Comme
vous regardez tout, jusqu’à la dernière image, autour de minuit, le problème de
l’occupation de la fin de journée se trouve réglé. Que des chanteurs chantent,
que des vachettes bousculent des garçons de café, que des prestidigitateurs
fassent disparaître la Joconde, ou que du haut de la tour de Nesles on
précipite les amants de la reine, la qualité du spectacle importe peu. Dans
cette traque au remède à l’ennui, vous n’êtes pas exigeant. Tout est bon qui
comble les heures. Ce qui ne va pas de soi dans le vide des vacances. Ainsi,
une fois le bouquet final remis au vainqueur du Tour, celui-là une dernière
fois embrassé par une reine de beauté, alors qu’il reste un mois et demi avant
le redouté retour au collège, vous en êtes réduit à espérer qu’il pleuve à
Paris, et donc à consulter chaque matin dans « La Résistance de
L’Ouest » la carte du temps. Car la chaîne unique décide alors, en guise
de consolation, de rouvrir exceptionnellement son antenne pour diffuser une
rareté cinéphilique du genre « Le Merle blanc », qui, de fait,
remplace avantageusement le soleil et vous permet de commenter avec l’oncle
Emile les mérites d’acteur de Jean Tissier, mais on constate tristement que la
météo dans la région parisienne est plus clémente que dans l’Ouest et qu’on
n’accorde les privilèges qu’aux nantis.
    Il y a bien sûr le magasin, la vente, à laquelle depuis tout
petits nous avons été entraînés, mais maintenant nous traînons les pieds,
trouvons ridicule de nous compromettre dans ces transactions mercantiles, nous
sentons humiliés de nous plier à ce rituel où l’on doit complaire au client, ne
jamais s’énerver, ne jamais renvoyer celui-là et ses exigences, supporter que
parfois il nous regarde de haut sous prétexte que nous habitons un trou de
campagne, en nous faisant remarquer que décidément il n’y a qu’en ville, que
l’on peut trouver l’extracteur à bigorneaux dont il a absolument besoin, et
maintenant nous devons endurer ses jérémiades, et comment il va faire sans son
extracteur, et les invités qui vont arriver, et aurions-nous par
hasard – comme si notre fond de commerce relevait du
hasard – un plat à pilpil ? non ? Ce qui fait que nous restons
terrés dans la cuisine, attendant que la pluie tombe sur Paris, au lieu que
c’était presque un jeu, au temps de l’enfance, cette précipitation aussitôt que
la sonnerie stridente de la porte du magasin annonçait un client, ce dont on
s’enorgueillissait quand la plupart des boutiques utilisaient encore le
carillon, suspendu au-dessus du chambranle, entrechoquant ses tiges de cuivre.
    Même si cette sonnette n’était pas sans inconvénient :
parfois pour un contact imparfait, ou une coupure de courant, elle demeurait
muette, de sorte que le client impatient, passé un délai de latence
raisonnable, se chargeait de signaler lui-même sa présence en toussant,
discrètement d’abord, moins une toux qu’un raclement de gorge, puis, exaspéré
qu’on fît si peu cas de sa personne, de plus en violemment, si bien qu’avant de
nous précipiter nous pensions presque à appeler le médecin – mais
c’était une blague, bien sûr – et d’autres fois la porte mal refermée
bloquait la sonnette, déclenchant un continuum strident qui nous broyait les
tympans, et nous ragions après celui-là qui n’avait pas idée de repousser la
porte, et nous accueillait avec un large sourire, satisfait de nous voir nous
ruer sur lui, le bousculant à moitié avant d’empoigner le bec de canne et d’une
pression brutale mettre fin au sinistre. Mais il n’était pas question de
risquer la moindre remarque, d’émettre devant l’entrant l’hypothèse selon
laquelle vous êtes sourd ou quoi. En ce temps-là, nous étions corvéables à
souhait, attendant d’en avoir fini avec le dernier client pour fermer le
magasin. Et c’est à celui-là, le retardataire, qu’allait notre compassion, car
cette visite nocturne – il s’en lamentait suffisamment devant nous,
bredouillant quelquefois des excuses quand il pensait à s’excuser –, il
fallait en rendre responsable la dureté de son travail et des

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