Prophétie

terre. Finalement, on lui a lacéré la jambe. Une putain ivre qu’il avait fichue à la porte aurait plutôt eu tendance à l’assommer d’un coup à la tête.
    — Elle voulait qu’il meure d’une mort lente, répliqua Barak d’un ton lugubre.
    — Et si ce n’était pas elle le coupable ?
    — Alors, qui d’autre ?
    — Quelqu’un qui tue, avec grand soin et beaucoup de méthode, pour effectuer une macabre mise en scène. » Quelques bestioles se traînaient toujours paresseusement sur la tache de sang. « Comme il a dû souffrir, Dieu du ciel !
    — Ce meurtre n’a rien de commun avec les autres ! s’écria Barak avec impatience, en déplaçant des chiffons du bout du pied. Tiens, tiens ! Qu’est-ce que c’est que ça ? »
    Quelque chose parmi les détritus avait produit un bruit métallique. Barak se pencha en avant et, les narines froncées, farfouilla parmi les loques, avant d’en tirer un gros insigne de métal sur lequel était peinte l’image d’un édifice de pierre à voussures. Je le pris des mains de Barak.
    « C’est un insigne de pèlerin. Ça vient du sanctuaire de saint Édouard le Confesseur à Westminster. Ce n’est pas courant qu’un évangéliste fanatique possède ce genre d’insigne. Les sanctuaires ne sont-ils pas pour eux des symboles papistes ?
    — C’est peut-être l’un des sergents qui l’a laissé tomber pendant qu’on emportait le corps, suggéra Barak.
    — Ce n’est guère probable. Par les temps qui courent, on se garde bien de porter des insignes de pèlerin, de peur d’être pris pour un papiste. Pourtant, quelqu’un l’a laissé tomber là. Fouille dans le reste de ces chiffons, Jack, pour voir ce que tu peux trouver.
    — À moi le boulot agréable, n’est-ce pas ? » Barak se mit à retourner tous les vêtements crasseux et autres chiffons sales. « Il n’y a rien d’autre », conclut-il. Jetant un coup d’œil au crucifix accroché au mur puis à la tache de sang près du feu, il reprit : « Le pauvre bougre ! S’est-il repenti de son péché de fornication pendant qu’il regardait les asticots lui bouffer la jambe ? »
    Je sursautai. « Qu’as-tu dit ?
    — Je me demandais s’il regrettait d’avoir vécu avec la putain…
    — Non, non ! Tu as dit “repenti de son péché de fornication”. Pourquoi as-tu utilisé cette formule ? »
    Il me fixa comme si j’avais perdu la tête. « Je n’en sais rien. Ç’a juste surgi dans mon esprit. Ça vient de la Bible, non ? »
    Je lui donnai une tape sur l’épaule. « Oui, en effet. Ce sont des formules bibliques. On les entend partout en ce moment, n’est-ce pas ? En chaire, dans la rue. Elles font désormais partie de notre langage de tous les jours. Voilà pourquoi ces autres expressions ont produit un déclic dans ma cervelle. » Je restai figé sur place dans cet horrible endroit, plongé dans mes réflexions. « Serait-ce possible ?
    — De quoi parlez-vous ?
    — Grand Dieu ! murmurai-je. J’espère que je me trompe. Allons-y !
    — Que vous vous trompez sur quoi ? Vous parlez par énigmes…
    — Il faut que nous nous rendions dans une église. Celle qui se trouve au début des marais fera l’affaire. »
    Je sortis le premier et me mis à marcher à grands pas sur le sentier, en direction de la maison de Gib. Barak referma la cahute à clef et dut pour une fois courir pour me rattraper. Gib avait repris son travail. Je laissai Barak lui rendre la clef tandis que je détachais les chevaux, me servant d’un tronc d’arbre pour me hisser en selle.
    « Pourquoi êtes-vous si pressés ? lança Gib, dévoré de curiosité, comme Barak se précipitait vers moi. Qu’est-ce que vous avez trouvé ?
    — Rien ! répliqua Barak tout en enfourchant Sukey. Il doit aller à l’église, c’est tout ! »
     
     
    Le portail étant ouvert, nous pénétrâmes dans l’atmosphère fraîche de l’église, toujours décorée à l’ancienne mode. Les murs étaient peints de couleurs vives et des figures géométriques ornaient les carreaux usés du sol. Des cierges brûlaient partout et il régnait un parfum d’encens, bien que les niches où étaient jadis placés les reliquaires et les statues de saints fussent vides. Sur le pupitre, à côté de l’autel richement orné, se trouvait une bible attachée par une chaîne. Il s’agissait de la Bible en anglais que, l’année avant sa chute, lord Cromwell avait ordonné que l’on place