Prophétie
ou mal interprété le texte, j’aurais sans aucun doute maille à partir avec les grands hommes qu’on venait d’aller quérir à Whitehall.
« Ce livre n’a ni queue ni tête, finit par déclarer Barak. Il raconte la même histoire de différentes manières. Il donne des versions contradictoires de la fin des temps : anges, guerres, coupes d’or. Il n’y a pas de…
— D’intrigue cohérente ? D’accord. C’est d’ailleurs le seul livre du Nouveau Testament qui soit si abscons.
— C’est très puissant, malgré tout. Ça se fixe dans la tête, comme qui dirait… “La fumée de leurs tourments monte sans cesse, éternellement, et ils ne connaissent jamais le repos, ni le jour ni la nuit, ceux qui adorent la bête et son image.” La bête étant le diable ?
— Oui. Bien que d’aucuns affirment que c’est l’Église de Rome. Il existe autant d’exégèses de l’Apocalypse que d’exégètes, chacun d’entre eux prétendant que son interprétation est la bonne. Et la plupart sont des fanatiques sans instruction. Ce livre cause beaucoup de troubles dans le monde.
— Vous connaissez très bien la Bible, dit Barak avec étonnement.
— Pas particulièrement bien l’Apocalypse, mais je connais bien la Bible, en effet. De l’adolescence jusqu’à la trentaine, j’étais un réformateur zélé, expliquai-je en souriant tristement. J’ai d’abord rencontré Thomas Cromwell au cours de dîners tenus secrets pour éviter les inquisiteurs de Thomas More. Avant que le pouvoir ne le corrompe, ajoutai-je avec amertume.
— Vous dites qu’Érasme et Luther doutent de l’authenticité de l’Apocalypse ? Pourquoi donc ?
— Il existait jadis de nombreux évangiles, bien davantage que les quatre que l’on trouve aujourd’hui dans le Nouveau Testament. Sans compter d’innombrables apocalypses annonçant la fin des temps. Or les anciens érudits, ceux qui ont décidé quels étaient les textes chrétiens authentiques directement inspirés par Dieu, ont rejeté toutes les apocalypses, à part celle que nous connaissons, surtout parce qu’ils croyaient que saint Jean en était l’auteur. Mais Érasme et Luther ont mis ce choix en doute parce que la Révélation de saint Jean ne ressemble en rien au reste du Nouveau Testament. À cause de sa violence et de sa cruauté, de la présentation de Jésus en juge divin cruel qui “détient les clefs de l’enfer et de la mort”.
— Quelqu’un d’autre les détient en ce moment », dit Barak. Il gonfla les joues et baissa la tête. Il n’avait jamais été témoin d’une telle horreur et cela l’avait terriblement ébranlé. Comme moi, d’ailleurs. Il me fallait agir malgré tout. Faire mon compte rendu à Cranmer et aux autres, me concentrer là-dessus.
Nous sursautâmes tous les deux lorsque, peu après, la porte s’ouvrit pour laisser apparaître le secrétaire de Cranmer, qui inclina le buste. « Sa Grâce va vous recevoir à présent, messire Shardlake, dit-il. Vous seul. Votre assistant doit rester là. »
Cranmer était assis à son bureau, entouré de lord Hertford, de Thomas Seymour et du coroner Harsnet qui se tenaient debout. Thomas Seymour portait ce jour-là un pourpoint rouge, avec des manches dont les crevés laissaient voir une doublure d’un jaune vif, tandis que son frère était en marron terne. Ils plantaient tous les trois sur moi un regard grave et interrogateur.
« Qu’avez-vous découvert, Matthew ? » demanda l’archevêque d’une voix sereine.
Je pris une profonde inspiration. « Monseigneur, je crois savoir pourquoi ont été tués le Dr Gurney et mon ami. Ainsi qu’un troisième homme qui a été assasiné en décembre.
— Un troisième homme ? s’écria Cranmer d’un ton horrifié en se penchant en avant.
— Oui. Et, si j’ai raison, on doit s’attendre à ce que se produisent quatre meurtres de plus. »
Lord Hertford se renfrogna et darda sur moi un regard acéré.
« Eh bien, allez-y, l’ami ! Crachez le morceau ! » lança sir Thomas Seymour.
J’expliquai de la façon la plus concise possible la manière dont j’avais entendu parler de la mort de Tupholme et comment les circonstances de cette mort m’avaient conduit à la lier à l’Apocalypse. Mes auditeurs m’écoutèrent en silence. Je jetai un coup d’œil à la bibliothèque de Cranmer. « Si vous consultez le chapitre 16 de l’Apocalypse, monseigneur…
— Je connais le Nouveau
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