Quand un roi perd la France
cela, eut gros dépit
et commença de se complaire dans l’idée que ses plus valeureuses entreprises,
par quelque sort funeste, étaient vouées à l’échec.
Peu de temps après survint le
premier combat auquel des chevaliers de l’Étoile eurent à prendre part, non
point dans un Orient fantastique, mais au coin d’un bois de Basse-Bretagne.
Quinze d’entre eux, voulant prouver qu’ils étaient capables d’autres hauts
faits que ceux du pichet, respectèrent leur serment de ne jamais reculer ni
retraiter ; et plutôt que de se dégager à temps, comme gens sensés
l’eussent fait, ils s’offrirent à être encerclés par un adversaire dont le
nombre ne leur laissait nulle chance, même petite. Aucun ne revint pour conter
cette prouesse. Mais les parents des chevaliers morts ne se privèrent point de
dire que le nouveau roi avait l’esprit bien faussé pour imposer à ses bannerets
un serment aussi fol, et que si tous devaient le tenir, il se retrouverait
bientôt seul à son assemblée…
Ah ! voici ma litière… Vous
préférez chevaucher à présent ?… Moi, je crois que je vais dormir un petit
afin de me trouver frais à l’arrivée… Mais vous comprenez, Archambaud, pourquoi
l’Ordre de l’Étoile n’a pas eu grande suite, et qu’on en parle de moins en
moins, d’année en année.
VI
LES DÉBUTS DE CE ROI QU’ON APPELLE LE MAUVAIS
Avez-vous noté, mon neveu, que
partout où nous nous arrêtons, à Limoges aussi bien qu’à Nontron ou ailleurs,
chacun nous demande nouvelles du roi de Navarre, comme si le sort du royaume
dépendait de ce prince ? L’étrange situation, en vérité, que celle où nous
sommes. Le roi de Navarre est prisonnier, dans un château d’Artois, de son
cousin le roi de France. Le roi de France est prisonnier, dans un hôtel de
Bordeaux, de son cousin le prince héritier d’Angleterre. Le Dauphin, héritier
de France, se débat dans le palais de Paris, entre ses bourgeois agités et ses
États généraux remontrants. Or, c’est du roi de Navarre que tout le monde
paraît s’inquiéter. Vous avez entendu l’évêque lui-même : « On disait
le Dauphin fort ami de Monseigneur de Navarre. Ne va-t-il pas le
libérer ? » Dieu Saint ! J’espère bien que non. Il a été fort
avisé, ce jeune homme, de n’en rien faire jusqu’à présent. Et je m’inquiète de
cette tentative d’évasion que des chevaliers du clan navarrais auraient montée
pour délivrer leur chef. Elle a échoué ; il faut nous en féliciter. Mais
tout porte à croire qu’ils voudront recommencer.
Oui, oui, j’ai appris bien des
choses pendant notre arrêt à Limoges. Et je me dispose, dès notre arrivée ce
soir à La Péruse, d’en écrire au pape.
Si c’était une grosse sottise de la
part du roi Jean d’enfermer Monsieur de Navarre, c’en serait une égale
aujourd’hui, pour le Dauphin, de le relâcher. Je ne connais pas de plus grand
brouilleur que ce Charles qu’on appelle le Mauvais ; et ils se sont bien
donné la main, à travers leur querelle, le roi Jean et lui, pour jeter la
France dans son malheur présent. Vous savez d’où lui vient son surnom ?
Des tout premiers mois de son règne. Il n’a point perdu de temps pour le
gagner.
Sa mère, la fille de Louis Hutin,
mourut, comme je vous le contais l’autre jour, durant l’automne de 49. Dans
l’été de 1350, il alla se faire couronner en sa capitale de Pampelune, où
jamais depuis sa naissance, à Évreux, dix-huit ans plus tôt, il n’avait mis les
pieds. Voulant se faire connaître, il parcourut ses États, ce qui ne demandait
point de longues courses ; puis il alla visiter ses voisins et parents,
son beau-frère, le comte de Foix et de Béarn, celui qui se fait appeler Phœbus,
et son autre beau-frère, le roi d’Aragon, Pierre le Cérémonieux, et également
le roi de Castille.
Or, un jour qu’il était de retour à
Pampelune et qu’il y passait un pont, à cheval, il rencontra une délégation de
nobles navarrais qui venaient à lui, pour lui porter leurs doléances, parce
qu’il avait laissé violer leurs droits et privilèges. Comme il refusait de les
entendre, les autres s’échauffèrent un peu ; il fit alors saisir par ses
soldats ceux qui criaient au plus près de lui, et ordonna qu’on les pendît dans
l’instant aux arbres voisins, disant qu’il faut être prompt à punir si l’on
veut être respecté.
J’ai remarqué que les princes trop
hâtifs au châtiment capital
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