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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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pluie…
     
    Je vous disais donc, Archambaud, la
façon dont s’y prit le roi Jean pour se faire sa première corbeille d’ennemis,
dans le sein même du royaume. Il résolut alors de se créer des amis, des féaux,
des hommes tout à sa dévotion, liés à lui par un lien neuf, qui l’aideraient en
guerre comme en paix, et qui feraient la gloire de son règne. Et pour ce, dès
l’aube de l’an suivant, il fonda l’Ordre de l’Étoile auquel il donna pour
objets l’exhaussement de la chevalerie et l’accroissement de l’honneur. Cette
grande novelleté n’était point si neuve, puisque le roi Édouard d’Angleterre
avait déjà institué la Jarretière. Mais le roi Jean se gaussait de cet ordre
créé autour d’une jambe de femme ; l’Étoile serait tout autre chose. Vous
pouvez noter là un trait constant chez lui. Il ne sait que copier, mais
toujours en se donnant des airs d’inventer.
    Cinq cents chevaliers, pas moins,
qui devaient jurer sur les Saintes Écritures de ne jamais reculer d’un pied en
bataille, ni jamais se rendre. Tant de sublime se devait d’être signalé par de
visibles marques. Jean II ne lésina point sur l’ostentation ; et son
Trésor, qui n’était déjà pas bien haut, se mit à fuir comme tonneau percé. Pour
loger l’Ordre, il fit aménager la maison de Saint-Ouen, qu’on n’appela plus que
la Noble Maison, tout emplie de meubles superbes, sculptés et ajourés, engravés
d’ivoire et autres matières précieuses. Je n’ai point vu la Noble Maison, mais
on me l’a dépeinte. Les murs y sont, ou plutôt y étaient, tendus de toiles d’or
et d’argent, ou bien de velours semé d’étoiles et de fleurs de lis d’or. À tous
les chevaliers, le roi fit faire une cotte de soie blanche, un surcot mi partie
blanc et vermeil, un chaperon vermeil orné d’un fermail d’or en forme d’étoile.
Ils reçurent encore une bannière blanche brodée d’étoiles, et chacun aussi un
riche anneau d’or et d’émail, pour montrer qu’ils étaient tous comme mariés au
roi… ce qui portait à sourire. Cinq cents fermails, cinq cents bannières, cinq
cents anneaux ; calculez la dépense ! Il paraît que le roi dessina et
discuta chaque pièce de ce glorieux attirail. Il y croyait ferme, à son Ordre
de l’Étoile ! Avec de si mauvais astres que les siens, il eût été mieux
avisé de choisir un autre emblème.
    Une fois l’an, selon la règle qu’il
avait dictée, tous les chevaliers devaient se réunir en un grand festin où
chacun donnerait récit de ses aventures héroïques, et des prouesses d’armes par
lui accomplies dans l’année ; deux clercs en tiendraient registre et
chronique. La Table Ronde allait revivre, et le roi Jean dépasser en renommée
le roi Arthur de Bretagne ! Il édifiait de grands et vagues projets. On se
mit à reparler de croisade…
    La première assemblée de l’Étoile,
convoquée pour le jour des Rois de 1352, fut passablement décevante. Les futurs
preux n’avaient pas grands exploits à conter. Le temps leur avait manqué. Les
janissaires fendus en deux, du casque à l’arçon de la selle, et les pucelles
délivrées des geôles barbaresques, ce serait l’affaire d’une autre année. Les
deux clercs commis à la chronique de l’Ordre n’eurent point à user beaucoup
d’encre, à moins que saoulerie ne comptât pour exploit. Car la Noble Maison fut
le lieu de la plus grosse beuverie qu’on eût vue en France depuis Dagobert. Les
chevaliers blanc et vermeil s’engagèrent si fort au festin qu’avant
l’entremets, criant, chantant, hurlant, ivres à rouler, ne quittant la table
que pour courir pisser ou dégorger, revenant piquer aux plats, se lançant
d’ardents défis à qui viderait le plus de hanaps, ils méritaient tout seulement
d’être armés chevaliers de la ripaille. La belle vaisselle d’or, ouvragée pour
eux, fut froissée ou brisée ; ils se la jetaient par-dessus les tables,
comme des gamins, ou bien l’écrasaient de leurs poings. Des beaux meubles
ajourés et incrustés, il ne resta que débris. L’ivresse dut faire croire à
certains qu’ils étaient déjà en guerre, car ils s’employèrent céans à faire
butin. Ainsi les draps d’or et d’argent qui pendaient au mur furent volés.
    Or, ce jour même fut celui où les
Anglais se saisirent de la citadelle de Guines, livrée par belle trahison,
tandis que le capitaine qui commandait cette place festoyait à Saint-Ouen.
    Le roi, de tout

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