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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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filius . Et avant de m’inviter à
me relever, il me souffla à l’oreille : « Sais-tu combien me coûte
ton chapeau ? Six livres, sept sous et dix deniers. » C’était bien
dans la façon de ce pontife que de vous rabattre l’orgueil, dans l’instant
qu’on pouvait en concevoir le plus, en vous glissant une moquerie sur les
grandeurs. De tous les jours de ma vie, il n’en est pas dont j’aie gardé plus
précise mémoire. Le Saint-Père, tout desséché, tout plissé, sous son bonnet
blanc qui lui enserrait les joues… C’était le 14 juillet de l’an 1331…
    Brunet ! Fais arrêter ma
litière. Je m’en vais me dégourdir un peu les jambes, avec mon neveu, tandis
qu’on brossera ces miettes. Le chemin est plat, et le soleil nous gratifie d’un
petit rayon. Vous nous reprendrez en avant. Douze hommes seulement à
m’escorter ; je veux un peu de paix… Salut, maître Vigier… salut Volnerio…
salut du Bousquet… la paix de Dieu soit sur vous tous, mes fils, mes bons
serviteurs.
     

V

LES DÉBUTS DE CE ROI QU’ON APPELLE LE BON
    Le ciel du roi Jean ? Certes, je
le connais ; je me suis maintes fois penché dessus… Si je prévoyais ?
Bien sûr, je prévoyais ; c’est pourquoi je me suis si fort dépensé pour
empêcher cette guerre, sachant qu’elle lui serait funeste, et donc funeste à la
France. Mais allez faire entendre raison à un homme, et surtout à un roi, dont
les astres font barrière, précisément, et à l’entendement et à la raison !
    Le roi Jean II, à sa naissance,
avait Saturne culminant dans la constellation du Bélier, en milieu du ciel.
C’est configuration funeste pour un roi, celle des souverains détrônés, des
règnes qui s’achèvent hâtivement ou que terminent de tragiques revers. Ajoutez
à cela une Lune qui se lève dans le signe du Cancer, lunaire lui-même, marquant
ainsi une nature fort féminine. Enfin, et pour ne vous donner que les traits
les plus voyants, ceux qui sautent aux yeux de tout astrologien, un difficile
groupement où l’on trouve le Soleil, Mercure et Mars étroitement conjoints en
Taureau. Voilà un ciel bien pesant qui compose un homme mal balancé, mâle et
même assez lourd dans les apparences, mais chez qui tout ce qui devrait être
viril est comme castré, jusques et y compris l’entendement ; en même
temps, un brutal, un violent, habité de songes et de peurs secrètes qui lui
inspirent des fureurs soudaines et homicides, incapable d’écouter avis ou de se
maîtriser soi-même, et cachant ses faiblesses sous des dehors de grande
ostentation ; au fond de tout, un sot, et le contraire d’un vainqueur ou
d’une âme de commandement.
    De certaines gens, il semble que la
défaite soit l’affaire principale, qu’ils en aient un secret appétit, et ne
connaissent de cesse qu’ils ne l’aient trouvée. Être battu complaît à leur âme
profonde ; le fiel de l’échec est leur breuvage préféré, comme à d’autres
l’hydromel des victoires ; ils aspirent à la dépendance, et rien ne leur
convient mieux que de se contempler dans une soumission imposée. C’est grand malheur
quand de telles dispositions de naissance tombent sur la tête d’un roi.
    Jean II, tant qu’il fut
Monseigneur de Normandie, vivant sous la contrainte d’un père qu’il n’aimait
pas, parut un prince acceptable, et les ignorants crurent qu’il régnerait bien.
D’ailleurs les peuples, et même les cours, toujours portés à l’illusion,
attendent toujours d’un nouveau roi qu’il soit meilleur que le précédent, comme
si la nouveauté portait en soi vertu miraculeuse. À peine celui-ci eut-il le
sceptre en main que ses astres et sa nature commencèrent de montrer leurs
malheureux effets.
    Il n’était roi que depuis dix jours
quand Monsieur d’Espagne, dans ce mois d’août 1350, se fit battre sur la mer,
au large de Winchelsea, par le roi Édouard III. La flotte que Charles
d’Espagne commandait était castillane, et notre Sire Jean n’était pas
responsable de l’expédition. Néanmoins, comme le vainqueur était d’Angleterre,
et le vaincu l’ami très cher du roi de France, c’était mauvais début pour ce
dernier.
    Le sacre se fit en fin septembre. Monsieur
d’Espagne était revenu et, à Reims, on témoigna beaucoup de grâces à ce vaincu,
pour le consoler de sa défaite.
    À la mi-novembre, le connétable
Raoul de Brienne, comte d’Eu, rentra en France. Il était depuis quatre ans
captif du roi Édouard,

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