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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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devient naturel aux
honnêtes gens eux-mêmes d’être comploteurs.
    Un jour d’avant la Noël de 1354, en
un hôtel de Paris, il s’échangea de si grosses paroles et insultes entre
Charles d’Espagne et Philippe de Navarre que ce dernier tira sa dague et fut
tout près, si on ne l’avait entouré, d’en frapper le connétable ! Ce
dernier feignit de rire, et cria au jeune Navarre qu’il se fût montré moins
menaçant s’il n’y avait eu tant de gens autour d’eux pour le retenir. Philippe
n’est point aussi fin, mais il est plus enflammé au combat que son frère aîné.
On ne le retira de la salle qu’il n’ait proféré qu’il tirerait prompte
vengeance de l’ennemi de sa famille, et lui ferait ravaler son outrage. Ce
qu’il accomplit, à deux semaines de là, dans la nuit de la fête des rois mages.
    Monsieur d’Espagne allait visiter sa
cousine, la comtesse d’Alençon. Il s’arrêta pour coucher à Laigle, dans une
auberge dont le nom ne se laisse point oublier, l’auberge de la Truie-qui-file.
Trop sûr du respect qu’inspiraient, pensait-il, sa charge et l’amitié du roi,
il croyait n’avoir point de danger à craindre quand il cheminait par le
royaume, et il n’avait pris avec lui que petite escorte. Or, le bourg de Laigle
est sis dans le comté d’Évreux, à peu de lieues de cette ville où les frères
d’Évreux-Navarre séjournaient en leur gros château. Avertis du passage du connétable,
ils apprêtèrent à celui-ci une belle embûche.
    Vers la minuit, vingt chevaliers
normands, tous rudes seigneurs, le sire de Graville, le sire de Clères, le sire
de Mainemares, le sire de Morbecque, le chevalier d’Aunay… eh oui ! le
descendant d’un des galants de la tour de Nesle ; il n’était point
surprenant qu’on le retrouvât dans le parti Navarre… enfin, vous dis-je, une
bonne vingtaine dont les noms sont connus, puisque le roi, à son malgré, dut
leur donner par la suite des lettres de rémission… surgirent dans le bourg,
sous la conduite de Philippe de Navarre, firent voler les portes de la
Truie-qui-file, et se ruèrent au logement du connétable.
    Le roi de Navarre n’était pas avec
eux. Pour le cas où l’affaire aurait mal tourné, il avait choisi d’attendre à
la lisière de la ville, auprès d’une grange, en compagnie des gardes-chevaux.
Oh ! je le vois, mon Charles le Mauvais, petit, vivace, entortillé dans
son manteau comme une fumée d’enfer, et sautant de long en large sur la terre
gelée, pareil au diable qui ne touche pas le sol. Il attend. Il regarde le ciel
d’hiver. Le froid lui pince les doigts. Il a l’âme tordue à la fois de crainte
et de haine. Il prête l’oreille. Il reprend son piétinement inquiet.
    Survient alors Jean de Fricamps, dit
Friquet, le gouverneur de Caen, son conseiller et son plus zélé monteur de
machines, qui lui dit, tout hors d’haleine : « C’est chose faite,
Monseigneur ! »
    Et puis Graville, Mainemares,
Morbecque apparaissent, et Philippe de Navarre lui-même, et tous les conjurés. Là-bas,
à l’auberge, le beau Charles d’Espagne, qu’ils ont tiré de dessous son lit où
il avait pris refuge, est bien trépassé. Ils l’ont vilainement appareillé, à
travers sa robe de nuit. On lui comptera quatre-vingts plaies au corps,
quatre-vingts coups de lame. Chacun a voulu y plonger quatre fois son épée…
Voilà, messire mon neveu, comment le roi Jean perdit son bon ami, et comment
Monseigneur de Navarre entra en rébellion…
    À présent, je vais vous prier de
céder votre place à dom Francesco Calvo, mon secrétaire papal, avec lequel je
veux m’entretenir avant que nous ne parvenions à l’étape.
     

VII

LES NOUVELLES DE PARIS
    Comme je vais être, dom Calvo, fort
affairé en arrivant à La Péruse, pour inspecter l’abbaye et voir si elle a été
fort ravagée par les Anglais que je doive, pendant un an, exempter les moines,
ainsi qu’ils me le demandent, de me verser mes bénéfices de prieur, je veux
vous dire céans les choses à figurer dans ma lettre au Saint-Père. Je vous
saurai gré de me préparer cette lettre dès que nous serons là-bas, avec toutes
les belles tournures que vous avez coutume d’y mettre.
    Il faut faire connaître au
Saint-Père les nouvelles de Paris qui me sont parvenues à Limoges, et qui ne
laissent pas de m’inquiéter.
    En lieu premier, les agissements du
prévôt des marchands de Paris, maître Étienne Marcel. J’apprends que ce prévôt
fait

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