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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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mais un captif assez libre, qu’on laissait à l’occasion
aller entre les deux pays, car il était mêlé aux négociations d’une paix
générale à laquelle nous travaillions fort en Avignon. Moi-même, je
correspondais avec le connétable. Cette fois, il venait réunir le prix de sa
rançon. Je n’ai point à vous apprendre que Raoul de Brienne était un très haut,
très grand, très puissant personnage, et pour ainsi dire le second homme du
royaume. Il avait succédé en sa charge à son père Raoul V, tué en tournoi.
Il était tenant de vastes fiefs en Normandie, d’autres en Touraine, dont
Bourgueil et Chinon, d’autres en Bourgogne, d’autres en Artois. Il possédait
des terres, pour l’heure confisquées, en Angleterre et en Irlande ; il en
possédait dans le pays de Vaud. Il était le cousin par alliance du comte Amédée
de Savoie. Un tel homme, quand on vient juste de s’asseoir au trône, est de
ceux qu’on traite avec quelques égards ; ne croyez-vous pas,
Archambaud ? Eh bien, notre Jean II, après lui avoir adressé, au soir
de son arrivée, des reproches furieux, mais peu clairs, commanda sur-le-champ
de l’emprisonner. Et le surlendemain matin, il le fit décapiter, sans jugement…
Non ; aucune raison avouée. Nous n’avons pas pu en savoir plus, à la
curie, que vous à Périgueux. Et pourtant nous nous sommes employés à éclairer
l’affaire, croyez-le ! Pour expliquer cette exécution précipitée, le roi
Jean affirma qu’il détenait les preuves écrites de la félonie du
connétable ; mais jamais il ne les produisit, jamais. Même au pape, qui le
pressait, dans son intérêt propre, de révéler ces fameuses preuves, il opposa
un silence buté.
    Alors on commença, dans toutes les
cours d’Europe, à chuchoter, à supposer… On parla d’une correspondance
amoureuse que le connétable aurait entretenue avec Madame Bonne de Luxembourg
et qui, après le décès de celle-ci, serait tombée entre les mains du roi…
Ah ! vous aussi vous avez entendu cette fable !… Étrange liaison, en
vérité, et dont on apercevrait mal, en tout cas, qu’elle ait pu prendre un tour
criminel, entre une femme sans cesse enceinte et un homme presque continûment
captif depuis quatre ans ! Peut-être y avait-il, dans les lettres de
messire de Brienne, des choses pénibles à lire pour le roi ; mais si ce
fut, elles devaient regarder plutôt sa propre conduite que celle de sa première
épouse… Non, rien ne tenait qui pût expliquer cette exécution, sinon la nature
haineuse et meurtrière du nouveau roi, semblable assez à la nature de sa mère,
la méchante boiteuse. Le vrai motif se révéla peu après, quand la charge de
connétable fut donnée… vous savez bien à qui… eh oui ! à Monsieur
d’Espagne, avec une partie des biens du défunt, dont toutes les terres et
possessions furent distribuées entre les familiers du roi. Ainsi le comte Jean
d’Artois en eut grosse part : le comté d’Eu.
    Les largesses de cette sorte font
moins d’obligés qu’elles ne créent d’ennemis. Messire de Brienne avait foison
de parents, d’amis, de vassaux, de serviteurs, toute une grande clientèle fort
attachée à lui et qui aussitôt se mua en un réseau de mécontents. Comptez, en
plus, des gens de l’entourage royal qui ne reçurent ni mie ni miette des
dépouilles, et en furent jaloux et revêches…
    Ah ! Nous avons bonne vue,
d’ici, sur Châlus et ses deux châteaux. Comme ces deux hauts donjons se
répondent bien, qu’une mince rivière sépare ! Et le pays est plaisant au
regard, sous ces nuages qui courent bon train…
    La Rue ! La Rue, je ne me
méprends point ; c’est bien devant le châtel de droite, sur la colline,
que messire Richard Cœur de Lion fut durement navré d’une flèche qui lui ôta la
vie ? Ce n’est point d’aujourd’hui que les gens de nos pays ont accoutumé
d’être assaillis par l’Anglais, et de s’en défendre…
    Non, La Rue, je ne suis point
las ; je m’arrête seulement pour contempler… Eh certes, oui, j’ai bon pas !
Je vais cheminer encore un petit, et ma litière me reprendra plus avant. Rien
ne nous presse trop. De Châlus à Limoges, si j’ai bon souvenir, il y a moins de
neuf lieues. Trois heures et demie nous suffiront, sans forcer le trot…
Soit ! quatre heures. Laissez-moi profiter des derniers beaux jours que
Dieu nous dispense. Je serai bien assez enfermé derrière mes rideaux quand
viendra la

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