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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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aux
accusations avancées par Jean d’Artois. Mais le traité n’avait pas été signé ;
seulement des préliminaires. Le roi Jean, quand on lui rapporta cette partie de
la déposition de Friquet, cria : « Le traître, le traître !
N’avais-je pas raison ? »
    Le Dauphin lui fit observer :
« Mon père, ce projet était antérieur au traité de Valognes, que Charles
passa avec vous, et qui dit tout le contraire. Celui donc que Charles a trahi,
c’est le roi d’Angleterre plutôt que vous-même. »
    Et comme le roi Jean hurlait que son
gendre trahissait tout le monde : « Certes, mon père, lui répondit le
Dauphin, et je commence à m’en convaincre. Mais vous auriez fausse mine en
l’accusant d’avoir trahi précisément à votre profit. »
    Sur l’équipée d’Allemagne, que
n’avaient point accomplie Navarre et le Dauphin, Friquet de Fricamps ne
tarissait point. Les noms des conjurés, le lieu où ils devaient se rejoindre,
et qui était allé dire à qui, et devait faire quoi… Mais tout cela le Dauphin
l’avait fait connaître à son père.
    Un nouveau complot machiné par
Monseigneur de Navarre à dessein de se saisir du roi de France et de
l’occire ? Ah non, Friquet n’en avait pas ouï le plus petit mot ni décelé
le moindre indice. Certes, le comte d’Harcourt… à charger un mort, le suspect
ne risque guère ; c’est chose connue en justice… le comte d’Harcourt était
fort courroucé ces derniers mois, et avait prononcé des paroles
menaçantes ; mais lui seul et pour son propre compte.
    Comment n’aller pas croire un homme,
je vous le répète, si complaisant avec ses questionneurs, qui parlait par six
heures d’affilée, sans laisser aux secrétaires le temps de tailler leurs
plumes ? Un fameux madré, ce Friquet, tout à fait à l’école de son maître,
noyant son monde dans une inondation de paroles et jouant les bavards pour
mieux dissimuler ce qu’il lui importait de taire ! De toute manière, pour
pouvoir faire usage de ses dires dans un procès, il faudrait recommencer son
interrogatoire à Paris, devant une commission d’enquête dûment constituée, car
celle-là ne l’était point. En somme, on avait jeté un gros filet pour ramener
peu de poisson.
    Dans les mêmes jours, le roi Jean
s’occupait à saisir les places et biens des félons, et il dépêchait son vicomte
de Rouen, Thomas Coupeverge, à mettre la main sur les possessions des
d’Harcourt, tandis qu’il envoyait le maréchal d’Audrehem investir Évreux. Mais partout
Coupeverge tomba sur des occupants peu amènes, et la saisie resta toute
nominale. Il lui aurait fallu pouvoir laisser garnison dans chaque
château ; mais il n’avait pas emmené assez de gens d’armes. En revanche,
le gros corps décapité de Jean d’Harcourt ne demeura pas longtemps exposé au
gibet de Rouen. La deuxième nuit, il fut dépendu secrètement par de bons
Normands qui lui donnèrent sépulture chrétienne en même temps qu’ils
s’offraient l’agrément de narguer le roi.
    Quant à la ville d’Évreux, il fallut
y mettre le siège. Mais elle n’était pas le seul fief des Évreux-Navarre. De
Valognes à Meulan, de Longueville à Conches, de Pontoise à Coutances, il y
avait de la menace dans les bourgs, et les haies, au long des routes,
frémissaient.
    Le roi Jean ne se sentait guère en
sécurité à Rouen. Il était venu avec une troupe assez forte pour assaillir un
banquet, non pas pour soutenir une révolte. Il évitait de sortir du château.
Ses plus fidèles serviteurs, dont Jean d’Artois lui-même, lui conseillaient de
s’éloigner. Sa présence excitait la colère.
    Un roi qui en vient à avoir peur de
son peuple est un pauvre sire dont le règne risque fort d’être abrégé.
    Jean II décida donc de regagner
Paris ; mais il voulut que le Dauphin l’accompagnât. « Vous ne vous
soutiendrez plus, Charles, s’il y a tumulte dans votre duché. » Il
craignait surtout que son fils ne se montrât trop accommodant avec le parti
navarrais.
    Le Dauphin se plia, réclamant
seulement de voyager par l’eau. « J’ai accoutumé, mon père, d’aller de
Rouen à Paris par la Seine. Si je faisais autrement, on pourrait croire que je
fuis. En outre, nous éloignant lentement, les nouvelles nous joindront plus
aisément, et si elles méritaient que je retourne, j’aurais plus de commodité à
le faire. »
    Et voilà donc le roi embarqué sur le
grand lin que le duc de Normandie a

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