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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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apprêté de potence. – Ni
d’échafaud ? – Non, Monseigneur, je n’ai rien vu de tel. »
    À six reprises déjà, Monseigneur de
Navarre avait été décollé, autant de fois pendu ou écartelé à quatre chevaux.
Le pire fut peut-être de déposer un soir dans sa chambre un grand sac de
chanvre, en lui disant qu’on l’y enfermerait durant la nuit pour aller le jeter
en Seine. Le matin suivant, le roi des ribauds vint reprendre le sac, le
retourna, vit que Monseigneur de Navarre y avait ménagé un trou, et s’en
repartit en souriant.
    Le roi Jean demandait sans cesse
nouvelles du prisonnier. Cela lui faisait prendre patience pendant qu’on
ajustait la lettre au pape. Le roi de Navarre mangeait-il ? Non, il touchait
fort peu aux repas qu’on lui portait, et son couvert redescendait souvent comme
il était monté. Sûrement il craignait le poison. « Alors, il
maigrit ? Bonne chose, bonne chose. Faites que ses mets soient amers et
malodorants, pour qu’il pense bien qu’on le veut enherber. »
Dormait-il ? Mal. Dans le jour, on le trouvait parfois affalé sur la
table, la tête dans les bras, et sursautant comme quelqu’un qu’on tire du
sommeil. Mais la nuit, on l’entendait marcher sans trêve, tournant dans la chambre
ronde… « Comme un renardeau, Sire, comme un renardeau ». Sans doute
redoutait-il qu’on vînt l’étrangler, ainsi qu’on en avait fait de sa
grand-mère, dans ce même logis. Certains matins, on devinait qu’il avait
pleuré. « Ah bien, ah bien, disait le roi. Est-ce qu’il vous
parle ? » Oh que certes, il parlait ! Il essayait de nouer
discours avec ceux qui pénétraient chez lui. Et il tentait d’entamer chacun par
son point faible. Au roi des ribauds, il promettait une montagne d’or s’il
l’aidait à s’évader, ou seulement consentait à lui passer des lettres à
l’extérieur. Au sergent Perrinet, il proposait de l’emmener avec lui et de le
faire son roi des ribauds en Évreux et en Navarre, car il avait remarqué que le
Buffle jalousait l’autre. Auprès du gouverneur de la forteresse, qu’il avait
jugé soldat loyal, il plaidait l’innocence et l’injustice. « Je ne sais ce
qui m’est reproché, car je jure Dieu que je n’ai nourri aucune mauvaise pensée
contre le roi, mon cher père, ni rien entrepris pour lui nuire. Il a été abusé sur
mon compte par des perfides. On m’a voulu perdre dans son esprit ; mais je
supporte toute peine qu’il lui plaît de me faire, car je sais bien que cela ne
vient point vraiment de lui. Il est maintes choses dont je pourrais utilement
l’instruire pour sa sauvegarde, maints services que je lui peux rendre et ne
lui rendrai pas, s’il me fait périr. Allez vers lui, messire gouverneur, allez
lui dire qu’il aurait grand avantage à m’entendre. Et si Dieu veut que je
rentre en fortune, soyez assuré que j’aurai soin de la vôtre, car je vois que
vous m’êtes compatissant autant que vous avez de souci du vrai bien de votre
maître. »
    Tout cela, bien sûr, était rapporté
au roi qui aboyait : « Voyez le félon ! Voyez le
traître ! » Comme si n’était pas la règle de tout prisonnier de
chercher à apitoyer ses geôliers ou les soudoyer. Peut-être même les sergents
insistaient-ils un peu sur les offres du roi de Navarre, afin de se faire assez
valoir. Le roi Jean leur jetait une bourse d’or, en reconnaissance de leur
loyauté. « Ce soir vous feindrez que j’ai commandé qu’on réchauffe sa
geôle, et vous allumerez de la paille et du bois mouillé, en bouchant la
cheminée, pour le bien enfumer. »
    Oui, un renardeau piégé, le petit
roi de Navarre. Mais le roi de France, lui, était comme un grand chien furieux
tournant autour de la cage, un mâtin barbu, l’échine hérissée, grondant,
hurlant, montrant les crocs, grattant la poussière sans pouvoir atteindre sa
proie à travers les barreaux.
    Et cela dura ainsi jusque vers le
vingt avril, où parurent aux Andelys deux chevaliers normands, assez dignement
escortés et qui arboraient à leur pennon les armes de Navarre et d’Évreux. Ils
portaient au roi Jean une lettre de Philippe de Navarre, datée de Conches. Fort
raide, la lettre. Philippe se disait très courroucé des grands torts et injures
causés à son seigneur et frère aîné… « Que vous avez emmené sans loi,
droit ni raison. Mais sachez que vous n’avez nul besoin de penser à son
héritage ni au nôtre, pour le faire mourir par votre

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