Quand un roi perd la France
parents d’Évreux ne viennent à moi que dans la
détresse, pour se tourner vers d’autres aussitôt que je les en ai tirés. »
Néanmoins, il prit ses dispositions,
appela le duc de Lancastre, et fit commencer les apprêts d’une nouvelle
expédition, en même temps qu’il adressait des instructions au prince de Galles,
à Bordeaux. Et comme il avait appris par les envoyés navarrais que Jean II
le mettait en cause dans les accusations portées contre son gendre, il adressa
des lettres au Saint-Père, à l’Empereur et à divers princes chrétiens, où il
niait toute connivence avec Charles de Navarre, mais où d’autre part il blâmait
fort Jean II de son manque de foi et de ses agissements que « pour
l’honneur de la chevalerie » il eût aimé ne jamais voir chez un roi.
Sa lettre au pape avait demandé
moins de temps que celle du roi Jean, et elle était autrement troussée,
veuillez m’en croire.
Nous ne nous aimons guère, le roi
Édouard et moi ; il me juge trop favorable, toujours, aux intérêts de la
France et moi je le tiens pour trop peu respectueux de la primauté de l’Église.
Chaque fois que nous nous sommes vus, nous nous sommes heurtés. Il voudrait
avoir un pape anglais, ou préférablement pas de pape du tout. Mais je reconnais
qu’il est pour sa nation un prince excellent, habile, prudent quand il le doit,
audacieux quand il le peut. L’Angleterre lui doit gros. Et puis, bien qu’il ne
compte que quarante-quatre ans, il jouit du respect qui entoure un vieux roi,
quand il a été un bon roi. L’âge des souverains ne se mesure pas à la date de
leur naissance, mais à la durée de leur règne. À cet égard, le roi Édouard fait
figure d’ancien parmi tous les princes d’Occident. Le pape Innocent n’est
suprême pontife que depuis quatre ans ; l’empereur Charles, élu il y a dix
ans, n’est couronné que depuis deux. Jean de Valois a tout juste célébré… en
captivité, triste célébration… le sixième anniversaire de son sacre.
Édouard III, lui, occupe son trône depuis vingt-neuf ans, bientôt trente.
C’est un homme de belle stature et
de grande prestance, assez corpulent. Il a de longs cheveux blonds, une barbe
soyeuse et soignée, des yeux bleus un peu gros ; un vrai Capétien. Il
ressemble fort à Philippe le Bel, son grand-père, dont il a plus d’une qualité.
Dommage que le sang de nos rois ait donné un si bon produit en Angleterre et un
si piètre en France ! Avec l’âge il semble de plus en plus porté au
silence, comme son grand-père. Que voulez-vous ! Il y a trente ans qu’il
voit des hommes s’incliner devant lui. Il sait à leur démarche, à leur regard,
à leur ton, ce qu’ils espèrent de lui, ce qu’ils vont en requérir, quelles
ambitions les animent et ce qu’ils valent pour l’État. Il est bref en ses ordres.
Comme il dit : « Moins on prononce de paroles, moins elles sont
répétées et moins elles sont faussées. »
Il se sait paré, aux yeux de
l’Europe, d’une grande renommée. La bataille de l’Écluse, le siège de Calais,
la victoire de Crécy… Il est le premier, depuis plus d’un siècle, à avoir battu
la France, ou plutôt son rival français puisqu’il n’a entrepris cette guerre,
dit-il, que pour affirmer ses droits à la couronne de Saint Louis. Mais aussi
pour mettre la main sur des provinces prospères.
Il ne se passe guère d’année qu’il
ne débarque des troupes sur le continent, tantôt en Boulonnais, tantôt en
Bretagne, ou bien qu’il ordonne, comme ces deux derniers étés, une chevauchée à
partir de son duché de Guyenne.
Autrefois, il prenait lui-même la
tête de ses armées, et il s’y est acquis une belle réputation de guerrier. À
présent, il n’accompagne plus ses troupes. Il les fait commander par de bons
capitaines qui se sont formés campagne après campagne ; mais je pense
qu’il doit surtout ses succès à ce qu’il entretient une armée permanente
composée pour le plus gros d’hommes de pied, et qui, toujours disponible, ne
lui coûte pas finalement plus cher que ces osts pesants, que l’on convoque à
grands frais, que l’on dissout, qu’il faut rappeler, qui ne s’assemblent jamais
à temps, qui sont équipés à la disparate et dont les parties ne savent point
s’endenter pour manœuvrer en bataille.
C’est fort beau de dire :
« La patrie est en péril. Le roi nous appelle. Chacun doit y
courir ! » Avec quoi ? Avec des bâtons ? Le
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