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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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commandé tout exprès pour son usage, car,
ainsi que je vous l’ai dit, il n’aime guère chevaucher. Un grand bateau à fond
plat, tout décoré, orné et doré, qui arbore les bannières de France, de Normandie
et de Dauphiné, et qui manœuvre à voile et à rames. Le château en est aménagé
comme une vraie demeure, avec une belle chambre meublée de tapis et de coffres.
Le Dauphin aime d’y deviser avec ses conseillers, d’y jouer aux échecs ou aux
dames, ou de contempler le pays de France qui a, le long de cette grande
rivière, bien de la beauté. Mais le roi, lui, bouillait de s’en aller à ce
train calme. Quelle sotte idée de suivre toutes les courbes de Seine, qui
triplent la longueur du chemin, alors qu’il y a des routes qui coupent
droit ! Il ne pouvait se supporter sur cet espace restreint qu’il
arpentait en dictant une lettre, une seule, toujours la même qu’il reprenait et
remodelait sans cesse. Et, à tout moment, de faire accoster, de patauger dans
la vase des débarcadères, d’essuyer ses houseaux dans les pâquerettes, et de se
faire amener son cheval, qui suivait avec l’escorte le long des berges, pour
aller visiter sans raison un château aperçu entre les peupliers. « Et que
la lettre soit copiée pour mon retour. » Sa lettre au pape, par laquelle
il voulait expliquer les causes et raisons de l’arrestation du roi de Navarre.
Y avait-il d’autres affaires au royaume ? On ne l’aurait pas cru. En tout
cas aucune qui dût requérir ses soins. La mauvaise rentrée des aides, la
nécessité d’affaiblir de nouveau la monnaie, la taxe sur les draps qui causait
la colère du négoce, la réparation des forteresses menacées par
l’Anglais ; il balayait ces soucis. N’avait-il pas un chancelier, un
gouverneur des monnaies, un maître de l’hôtel royal, des maîtres des requêtes
et des présidents au Parlement pour y pourvoir ? Que Nicolas Braque, qui
était reparti pour Paris, Simon de Bucy ou Robert de Lorris s’emploient à leur
besogne. Ils s’y employaient, en effet, grossissant leur fortune en jouant sur
le cours des pièces, en étouffant le mauvais procès d’un parent, en favorisant
un ami, en mécontentant à jamais telle compagnie marchande, telle ville ou tel
diocèse qui jamais ne le pardonneraient au roi.
    Un souverain qui tantôt prétend veiller
à tout, jusqu’aux plus petits règlements de cérémonies, et tantôt ne se soucie
plus de rien, fût-ce des plus grandes affaires, n’est pas homme qui conduit son
peuple vers de hautes destinées.
    La nef dauphine était amarrée à
Pont-de-l’Arche, le second jour, quand le roi vit arriver le prévôt des
marchands de Paris, maître Etienne Marcel, chevauchant à la tête d’une
compagnie de cinquante à cent lances sur laquelle flottait la bannière bleu et
rouge de la ville. Ces bourgeois étaient mieux équipés que beaucoup de
chevaliers.
    Le roi ne descendit pas du bateau et
n’invita pas le prévôt à y monter. Ils se parlèrent de pont à rive, aussi
surpris l’un que l’autre de se trouver ainsi face à face. Le prévôt ne
s’attendait visiblement pas à rencontrer le roi en ce lieu, et le roi se
demandait ce que le prévôt pouvait bien faire en Normandie avec un tel
équipage. Il y avait sûrement de l’intrigue navarraise là-dessous. Était-ce une
tentative pour délivrer Charles le Mauvais ? La chose semblait bien
prompte, une semaine seulement après l’arrestation. Mais enfin, c’était
possible. Ou bien le prévôt était-il pièce du complot dénoncé par Jean
d’Artois ? La machination alors prenait vraisemblance.
    « Nous sommes venus vous
saluer, Sire », dit tout seulement le prévôt. Le roi, plutôt que de le
faire parler un peu, lui répondit tout à trac d’un ton menaçant qu’il avait dû
se saisir du roi de Navarre contre lequel il avait de forts griefs, et que tout
serait exposé en grande lumière dans la lettre qu’il envoyait au pape. Le roi
Jean dit encore qu’il entendait trouver sa ville de Paris en bon ordre, bon
calme et bon travail quand il y rentrerait… « Et à présent, messire
prévôt, vous pouvez vous en retourner ».
    Longue route pour petite palabre.
Étienne Marcel s’en repartit, sa touffe de barbe noire dressée sur le menton.
Et le roi, dès qu’il eut vu la bannière de Paris s’éloigner entre les saules,
manda son secrétaire pour modifier une fois encore la lettre au pape… Tiens, à
propos… Brunet ? Brunet !

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