Quand un roi perd la France
cruauté, car jamais vous n’en
tiendrez un pied. De ce jour nous vous défions, vous et toute votre puissance,
et nous vous livrerons guerre mortelle, aussi grande que nous pourrons ».
Si ce ne sont point tout exactement les mots, en tout cas c’est bien le sens.
Les choses y étaient marquées avec toute cette dureté ; et l’intention du
défi y était. Et ce qui rendait la lettre plus roide encore, c’est qu’elle
était adressée « à Jean de Valois, qui s’écrit roi de France… ».
Les deux chevaliers saluèrent et,
sans plus longue entrevue, tournèrent leurs chevaux et s’en allèrent comme ils
étaient venus.
Bien sûr, le roi ne répondit pas à
la lettre. Elle était irrecevable, de par sa suscription même. Mais la guerre
était ouverte, et l’un des plus grands vassaux ne reconnaissait plus le roi Jean
comme souverain légitime. Ce qui signifiait qu’il n’allait pas tarder à
reconnaître l’Anglais.
On s’attendait qu’une si grosse
offense mît le roi Jean dans une rage furieuse. Il surprit son monde par le
rire qu’il eut. Un rire un peu forcé. Son père aussi avait ri, et de meilleur
cœur, vingt ans plus tôt, quand l’évêque Burghersh, chancelier d’Angleterre,
lui avait porté le défi du jeune Édouard III…
Le roi Jean commanda qu’on expédiât
la lettre au pape sur-le-champ, oui, comme elle était ; d’avoir été tant
de fois remaniée, elle ne faisait pas grand sens et ne prouvait rien du tout.
En même temps, il ordonna de sortir son gendre de la forteresse. « Je vais
le clore au Louvre. » Et, laissant le Dauphin remonter la Seine sur le
grand lin doré, lui-même prit la route au galop pour regagner Paris. Où il ne
fit rien de bien précieux, cependant que le clan Navarre se rendait fort actif.
Ah ! Je ne m’étais pas avisé
que vous étiez revenu, dom Calvo… Alors vous avez trouvé… Dans l’évangile… Jésus
leur répondit… quoi donc ? Allez raconter à Jean ce que vous
avez entendu et ce que vous avez vu . Parlez plus fort, dom Calvo.
Avec ce bruit de chevauchée… Les aveugles voient, les boiteux marchent …
Oui, oui, j’y suis. Saint Matthieu. Coci vident, claudi ambulant,
surdi audiunt, mortui resurgunt , et cætera … Les aveugles voient. Ce
n’est pas beaucoup, mais cela me suffira. Il s’agit d’y pouvoir accrocher mon
homélie. Vous savez comment je travaille.
II
LA NATION D’ANGLETERRE
Je vous disais tout à l’heure,
Archambaud, que le parti navarrais se montrait bien actif. Dès le lendemain du
banquet de Rouen, des messagers étaient partis en toutes directions. D’abord
vers la tante et la sœur, Mesdames Jeanne et Blanche ; le château des
reines veuves se mit à bruisser comme une fabrique de tisserand. Et puis vers
le beau-frère, Phœbus… Il faudra que je vous parle de lui ; c’est un
prince bien particulier, mais qui n’est point négligeable. Et comme notre
Périgord est après tout moins distant de son Béarn que de Paris, il ne serait pas
mauvais qu’un jour… Nous en recauserons. Et puis Philippe d’Évreux, qui avait
pris les choses en main et se substituait bien à son frère, expédia en Navarre
l’ordre d’y lever des troupes et de les acheminer par la mer le plus tôt qu’on
pourrait, cependant que Godefroy d’Harcourt organisait les gens de leur parti,
en Normandie. Et surtout Philippe dépêcha en Angleterre les sires de Morbecque
et de Brévand, qui avaient participé aux négociations de naguère, pour requérir
de l’aide.
Le roi Édouard leur fit un accueil
frais. « J’aime loyauté dans les accords, et que la conduite réponde à ce
que la bouche a dit. Sans confiance entre rois qui s’allient, il n’est pas
d’entreprise qui se puisse mener à bien. L’an passé, j’ai ouvert mes portes aux
vassaux de Monseigneur de Navarre ; j’ai équipé des troupes, aux ordres du
duc de Lancastre, qui ont appuyé les siennes. Nous étions très avancés dans la
préparation d’un traité à passer entre nous ; nous devions convenir d’une
alliance perpétuelle, et nous engager à ne jamais faire paix, trêve ni accord
l’un sans l’autre. Et aussitôt Monseigneur de Navarre débarqué en Cotentin, il
accepte de traiter avec le roi Jean, lui jure bon amour et lui rend hommage.
S’il est en geôle à présent, si son beau-père l’a pris aux rets par coup de
traîtrise, la faute n’est pas mienne. Et avant que de lui porter secours,
j’aimerais savoir si mes
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