Quelque chose en nous de Michel Berger
reportage dans le magazine du même nom, véritable Bible des années soixante. En cet été 1963, il est justement en vacances en famille, comme chaque année, à Saint-Cergue, plus de mille mètres d’altitude dans le Jura vaudois, vue splendide sur le Léman au loin. C’est Jean-Marie Périer, le photographe de la décennie, qui est chargé de l’y rencontrer, dans le style primitif du moment : « Il s’appelle Michel Berger, seize ans, des yeux bruns, rieurs et pétillants… joue très bien du piano, un peu de clarinette, du saxo, de la batterie et de l’hélicon. » Aujourd’hui, Jean-Marie se souvient seulement de l’avoir photographié assis par terre parmi des bidons de lait…
La meilleure amie de Franka, Marlène Jobert, n’est pas conquise. « C’était vraiment un disque sans intérêt. J’avais très peur qu’il n’y laisse ses illusions. Mais comme je commençais à avoir un petit peu de succès, j’ai accepté un reportage photo avec Michel pour encourager sa promotion. »
La notoriété, les revenus afférents ne changent rien au quotidien de cet enfant de la haute, déjà habitué aux charmes discrets et aux avantages confortables mais rigoureux de la bourgeoisie. Il continue de fréquenter le parc Monceau, le lycée Carnot, s’inscrit aux Éclaireurs de France, donne avec Brousse des représentations de Courteline, de Cyrano de Bergerac, avec de vrais costumes et de vrais décors, rentre chaque soir à la maison, fait ses devoirs, assiste de loin aux premières amours de ses deux aînés et de leur copine Marlène Jobert, qui a rencontré Franka Hamburger au Conservatoire. « J’arrivais àParis et j’avais besoin de m’alimenter le corps et l’esprit. Franka m’a invitée chez elle. Je venais d’un milieu très différent et j’ai été frappée par leur classe. Mimi jouait déjà du piano très bien, mais rien ne permettait de présager ce qu’il allait devenir. Pour moi, c’étaient des moments superbes. Ils ne parlaient jamais de l’abandon de leur père, mais ce chagrin les avait liés encore plus. C’était émouvant de les voir. Ils aimaient rire, la vie, tout ce qui était un baume. Bernard me faisait une cour discrète qui me flattait : j’étais impressionnée par ses jugements clairs et intelligents. Nous faisions des soirées poèmes, où Michel, Franka et Annette se succédaient au piano. Cette dernière était assez rigide, mais très gentille. Sa fille m’aimait beaucoup, et elle était heureuse de m’accueillir. Au premier abord, cette famille exsudait un certain snobisme, mais ils étaient abordables et chaleureux. »
Michel continue de considérer sa carrière comme un divertissement, un truc qu’on fait pour s’amuser en parallèle aux études et à la vie adolescente corsetée de l’époque et du milieu. Rien à voir avec l’hystérie des Quatre garçons dans le vent, de la Beatlemania, des frasques des Rolling Stones, de Jerry Lee Lewis ou de Johnny, ni du splendide isolement dépravé d’Elvis de retour de l’armée. Michel n’est pas né dans la rue, ni fils de personne, rien d’un « Voodoo Chile » non plus, il n’est pas venu au monde dans le bayou, ni « sous les feux croisés d’un ouragan » comme dans le « Jumpin’Jack Flash » des Stones. Il y a pourtant, sans ironie, du Madame Bovary en lui, révolte sourde qui chante l’ennui et l’enchaînement de sa classe dans « La camomille » consommée en famille, fadeur dont il a assez comme des inévitables tasses de thé. Il l’interprète tout en jeu de bouche et oreilles proéminentes, le 10 novembreà « Discorama » (le site de l’INA l’a rebaptisée « J’aimerais me promener »), son premier passage à la télévision, où il croise une chanteuse blonde de son âge qui débute elle aussi avec « Ne sois pas si bête », France Gall. Sur un r’n’b où l’orgue domine, il signe là le plus intéressant de ses morceaux de jeunesse, le plus juste, le plus vécu et le mieux senti en tout cas, où point déjà une critique sociale douce-amère qui n’est pas loin de rejoindre celle dont fait si brillamment preuve Ray Davies chez les Kinks. Dont Michel va faire la toute première partie du Musicorama à l’Olympia, le 23 février 1965 au même programme que les Hornets d’Érik Saint-Laurent, le rockeur belge Burt Blanca, Vic Laurens et Johnny Rivers en pleine vogue jerk « À Go-Go ». Terrifié, chahuté par le public venu communier au fracas priapique des
Weitere Kostenlose Bücher