Quelque chose en nous de Michel Berger
France intervenait, nous secouait, on avait une force de résistance passive du fait de notre nombre et de notre complicité. Il nous faisait des petits signes. Lui, en revanche, elle l’a beaucoup contesté : “Chante pas comme ça”, “Change ce mot”, “Ça va pas”. Mais c’était le deal : elle avait peut-être raison, après tout, c’est subjectif, ces choses-là. Michel tenait vraiment à faire ce disque. Il avait vendu ses éditions peu avant, quand il était au top : question business, c’était le champion du monde, mais l’échec de La Légende de Jimmy, puis la production interminable de Tycoon lui avaient coûté très cher. Il tenait à avoir la maîtrise de tout, depuis la création de la chanson au piano. Michel, ses meilleurs moments de bonheur, c’était avec nous, les musiciens, en studio, au moment où ses chansons prenaient vie, en groupe, s’accouchaient. » Les images de l’enregistrement montrent Michel Berger très stressé, fumant beaucoup plus qu’à l’habitude. « On n’était pas habitué à ce que France intervienne autant », confirme Janik Top, auquel Michel a proposé de le suivre aux États-Unis monter un groupe avec des musiciens américains. « C’était une période assez dure. Michel était complètement abattu. Je les aimais tous les deux. Elle, parce qu’on rigolait tellement ensemble, et que je lui étais très attaché. Et, lui, c’était Michel. Ça allait être quelque chose, ensuite. »
Ce qui n’aurait finalement été qu’un épisode, douloureux, triste, mais typique du show-business où les deux doivent poursuivre coûte que coûte leur chemin, sur lequel on passerait avec pudeur et compassion pour les deux artistes concernés, sans s’immiscer dans lemystère de la volatilité et des rhizomes de l’amour, prend évidemment des proportions incontournables en raison des circonstances. L’album paraît le 12 juin 1992. J’étais allé l’écouter quelques semaines plus tôt dans le studio de la rue Geffroy-Didelot sur l’escalier blanc duquel ils sont photographiés tous les deux sur la jaquette, France au-dessus de Michel, les yeux dans le vague, spectraux comme leurs voix, qu’ils ont voulues ainsi détimbrées. Je m’y étais rendu en compagnie de Lionel Rotcage, accueilli chaleureusement par France et Michel, comme toujours inquiets d’avoir un avis sur ce disque très différent de ce qu’ils avaient fait jusque-là tous les deux, assez froid, moderne, sur lequel ils chantent ensemble, mais jamais en duo. À RTL, ils se déplacent jusqu’au bureau de la programmation, au troisième étage de l’immeuble de la rue Bayard à la façade Vasarelli, le faire entendre à Monique Le Marcis, Pascal Amiaud et Laurent Jérôme.
Dans une interview à Elle le jour de la sortie, France confesse sa crise de la quarantaine, ses peurs et laisse filtrer les tensions au sein du couple. « On est toujours si près de se perdre », dit-elle. « Michel n’a pas encore totalement accepté que je sois différente de la femme qu’il a connue », ajoutant : « D’autant que lui m’apporte moins l’image d’une pérennité absolue. » Elle reconnaît suivre une psychothérapie et se rendre toujours seule dans son refuge sénégalais, où elle apprend, dit-elle, « à vaincre [s]es démons ».
Le 15, ils sont au Pavillon Baltard de Nogent-sur-Marne pour « Stars 90 », l’émission de Michel Drucker, alors exilé sur TF1, où toute la froideur de cette nouvelle musique apparaît au cours de « Superficiel et léger », Michel au clavier, France chantant en frappant ses percussions électroniques, les musiciens éloignés les uns des autres, comme perdus dans undécor glacial. Le lundi 22, ils donnent un concert au New Morning, réservé aux invités, des copains, un peu de presse, où ils chantent la totalité de cet album, ainsi que quelques-uns de leurs succès, dans une ambiance que n’oublieront jamais ceux qui y ont assisté. Serge Pérathoner l’a enregistré sur DAT, et filmé, à l’exception de la fin, où Michel au piano, et France, chantent à deux voix leurs anciens succès. Une tournée est calée à la rentrée, avec des dates à La Cigale du 13 octobre au 1 er novembre, puis à Bercy et dans des régions rarement visitées par les concerts, Dakar, Chine, Asie du Sud-Est. Elle n’aura pas lieu. Le 2 août à 21 h 35, Michel Berger est déclaré mort à l’hôpital de Saint-Tropez où les pompiers l’ont conduit, à la suite
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