Quelque chose en nous de Michel Berger
montré très élégant ni délicat ou respectueux avec elle, comme s’en souvenait Eugène Saccomano, alors spécialisé dans les spectacles et habitué des dîners tardifs chez Edgard, rue Marbeuf, et à la Cloche d’or à Pigalle, avec France, Claude et Paul Lederman, avant de devenir l’icône du commentaire footballistique que l’on sait et l’écrivain que l’on connaît moins. On se contentera, parmi d’autres ignominies, de mentionner ici que Cloclo lui a raccroché au nez lorsqu’elle l’a appelé de Naples le soir du 20 mars 1965 pour lui annoncer qu’elle venait de remporter l’Eurovision avec « Poupée de cire, poupée de son », signé – c’est peut-être là le problème – Gainsbourg (cette scène est rejouée dans le biopic Cloclo ). C’était la date qu’il avait d’abord fixée pour leur mariage secret en Écosse, et, puisqu’elle avait trouvé autre chose de plus important à faire ce jour-là, il avait décidé assez goujatement de ne plus l’épouser. Lorsqu’elle lequitte, il signe « Comme d’habitude », qui deviendra sous le titre de « My Way » un standard mondial repris par Frank Sinatra et Elvis Presley, dont seuls « Yesterday » et « Garota de Ipanema » égalent l’ubiquité (et Bowie reprend les accords pour « Life on Mars »). Julien (et Roda-Gil), eux, après avoir tenté en vain de lui assurer l’exclusivité (« Je sais que c’est elle », que Julien chantait encore au Palais des Congrès, en janvier 2012), écriront « Souffrir par toi n’est pas souffrir », succès de 1975 que reprendra Isabelle Boulay sous la houlette de Benjamin Biolay. Si l’on y ajoute tout ce que Michel Berger composera ensuite en son honneur, la chanson française et la Sacem doivent décidément beaucoup au charme de France Gall.
Ce dernier n’est pourtant initialement pas du tout chaud pour s’occuper d’elle. Il a peut-être été un peu échaudé par sa collaboration délicate avec Françoise Hardy, se consacre à son album à lui, Chansons pour une fan, et se trouve rebuté par son répertoire passé, Gainsbourg excepté, comme par tout ce qui lui est proposé. Certainement pour la tester, et aussi parce que, depuis Véronique, il n’a plus de voix féminine à disposition, il lui demande de lui donner la réplique sur un passage du morceau fleuve de son album, « Mon fils rira du rock’n’roll ». Si elle n’est pas encore tout à fait au point pour s’adapter vocalement au style du « Piano Man » parisien, elle ne s’en tire pas si mal, et ça commence à coller entre eux. « La première fois qu’on s’est assis au piano et que j’ai posé ma voix sur sa musique, ça a été comme une évidence, simple et naturelle. On ne peut pas le chanter autrement, de toute façon », expliquera-t-elle à propos de cette nouvelle symbiose siamoise. Et elle finira par le convaincre, malgré ses réticences initiales, comme il l’admettra volontierspar la suite. « Quel talent sous-exploité. J’avais peur d’écrire pour elle. Mais elle est tellement fantastique en tant qu’interprète. J’ai un balancement très particulier dans mes chansons, il y a très peu de gens qui peuvent les chanter. »
Dès mai 1971, donc, France avait été la première artiste signée par Bernard de Bosson lorsqu’il lance Kinney-Filipacchi. « France est une incroyable chanteuse de jazz. Elle a un sens formidable de musicalité naturelle. Elle pigeait tout de suite. On ne lui dit pas deux fois ce qu’elle doit faire. J’avais fait deux disques avec elle sous étiquette Atlantic, et il se trouve qu’on n’avait pas réussi. Depuis, elle cherchait autre chose. Elle était persuadée qu’elle allait trouver ça avec Jean-Michel Rivat et Frank Thomas, avec lesquels elle avait travaillé auparavant. Mais ils étaient en exclusivité comme producteurs chez Pathé à qui j’avais pris Michel. Elle me devait alors quatre ans de contrat. Elle voulait partir, mais Daniel Filipacchi ne voulait pas la lâcher. Je lui ai rendu son contrat quand même. Elle m’a dit : “Tu verras, je reviendrai.” Elle s’est vautrée, et deux ans après je dois dîner avec Michel dans un restaurant de la Montagne-Sainte-Geneviève. Il me prévient qu’il ne viendra pas seul. Il arrive avec elle, et m’assène : “Je vais m’occuper de la carrière de France.” Je n’ai rien compris. Il me dit : “Voilà, on a fait quelques chansons”, et me fait entendre “La déclaration d’amour”.
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