Qui ose vaincra
»
Une fois encore Thomé
demeure rêveur un long moment. Puis, comme s’il s’agissait de l’organisation d’une
partie de campagne, il déclare :
« Je pense qu’on va
y aller ce soir à 6 heures. »
Ferdinand et Paul Lehir
dissimulent mal leur exaltation. Fiévreux, le F.T.P. a oublié l’accrochage du
premier contact. Il bafouille presque, enthousiaste :
« Si vous nous
donniez certaines de vos armes, simplement vos revolvers, on pourrait être deux
cents pour les attaquer. »
Thomé hoche la tête dans
un signe de négation amusé.
« Non, mon vieux, je
vais tenter le coup avec mes hommes. Mais ne t’inquiète pas, dès que vous serez
armés, vous aurez l’occasion de faire la démonstration de vos talents. Pour le
moment, tout ce que je vous demande, c’est de m’aider à mettre quelques détails
au point. Et primo, je n’ai besoin que de trois guides.
— Ferdinand, moi, et
un troisième homme sûr. Mais, je ne comprends pas…
— Tu vas comprendre.
Ferdinand avec un de mes hommes au transfo. Le troisième homme avec mon sergent
à la chicane. Toi, Lehir, tu me conduiras avec le gros de la troupe par le
jardin du maire.
— Mon lieutenant, objecte
Lehir, une centaine de parachutistes en armes massés sur une seule voie, ça
risque d’attirer l’attention.
— On est moins
nombreux que tu ne le penses, mon vieux. »
Lehir, Ferdinand et l’amiral
dévisagent, intrigués, le jeune officier.
« Vous êtes combien,
mon lieutenant ? »
Savourant son effet, Thomé
compte sur ses doigts :
« Voyons… Dubosc s’est
cassé la jambe à l’atterrissage… Clément au transfo, Klein à la chicane. Restent,
en me comptant, dix hommes. C’est trop. J’enverrai Garros avec Klein à la chicane,
nous serons donc neuf pour attaquer le bâtiment. Ça ira pour le jardin du maire ? »
Les deux patriotes
écarquillent les yeux, ahuris. Avec évidence, ils se demandent s’ils n’ont pas
affaire à un fou. Lehir déclare :
« Ils sont cent
vingt à l’intérieur, armés jusqu’aux dents, ils ont des fusils mitrailleurs, des
mortiers.
— Nous, on aura la
surprise. Ça fait plus de deux ans qu’on nous entraîne à ce genre de coup de
commando. Il serait désespérant que les Anglais aient dépensé des tombereaux de
livres sterling pour des nèfles. La Kommandantur de Daoulas, je considère que
je la leur dois. »
37
4 août. 17 h 45.
Sous les yeux admira tifs de Ferdinand, Clément installe, avec une précision d’horloger,
son dispositif de sabotage sur le transformateur. Il met exactement sept
minutes, consulte sa montre, puis, tranquillement, de tout son long, il s’étend
dans la fougère et allume une cigarette. Ferdinand va parler ; d’un geste,
Clément lui fait signe de se taire.
17 h 55. Le
sergent Klein et le jeune Garros, accompagnés de Lucien, le troisième homme, viennent
de repérer la chicane et ses six gardiens. Klein a fait comprendre au guide que
tout allait bien et qu’il n’avait plus qu’à se terrer et attendre.
Klein et Garros sont en
surplomb, dissimulés par d’épais buissons. Leur position est idéale, d’autant
que les Allemands ne se méfient pas. Quatre d’entre eux font les cent pas, les
deux autres sont assis sur le bloc de ciment et bavardent. Klein avait l’intention
de balancer des grenades. En découvrant la situation, il change son projet, prend
sa carabine et s’installe dans la position du tireur couché. Garros comprend
instantanément et l’imite.
17 h 57. À
cinq mètres les uns des autres, progressant avec la souplesse et l’agilité de
félins, Thomé et ses huit « zazous » se placent aux postes qui leur
ont été désignés sur le plan. Briguet contourne et installe son fusil
mitrailleur. Thomé parvient à se dissimuler d’arbre en arbre jusqu’à sept ou
huit mètres à peine du perron sur lequel veille une sentinelle inattentive, l’arme
à la bretelle.
À plat ventre, à l’abri
du tronc d’un gros cèdre, Thomé observe l’Allemand. Le jour n’est pas
entièrement tombé, mais le ciel est tellement bas et épais qu’à l’intérieur de
la Kommandantur chacune des pièces occupées est allumée.
Thomé est fasciné par l’homme
de garde. De lourdes gouttes de sueur perlent sur son front, imprègnent ses
sourcils qu’elles imbibent avant de suinter sur ses yeux. À plusieurs reprises,
le lieutenant essuie son visage à l’aide du lambeau de
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