Qui ose vaincra
Diable, lieutenant,
excusez ma méprise. De nos jours, les armées de terre de toutes les nations s’affublent
curieusement de ces mêmes vêtements bariolés bizarres… »
Alors seulement l’amiral
de Boisanger semble réaliser. Son masque tombe, son monocle s’échappe de son
orbite, il reste muet un instant contemplant le jeune officier, enfin il
reprend sur un ton naturel qui ne laisse plus percer que l’émotion :
« Nom de Dieu, mon
vieux, nom de Dieu ! » L’amiral descend les trois marches qui le
séparent de Thomé qu’il étreint, puis il s’écarte, conservant ses mains sur les
épaules du parachutiste, le dévisageant avec une joie et une passion muettes. Enfin
il le lâche, hoche la tête et répète : « Nom de Dieu ! »
Le lieutenant Thomé a
pris un bain, s’est rasé, déguste l’omelette confectionnée par la vieille
servante. L’amiral de Boisanger a téléphoné à la poste de Daoulas. Il a chargé
le facteur de prévenir deux hommes. L’amiral et le lieutenant les attendent. L’amiral
explique :
« Ferdinand est l’un
des responsables des Francs-Tireurs et Partisans ; il a sous ses ordres
une centaine d’hommes de bonne volonté, mais pratiquement aucun n’est armé. Le
second, Paul Lehir, est garagiste à Daoulas, c’est un remarquable mécano. Lui, appartient
aux Forces françaises de l’Intérieur, ils sont également une centaine sur
lesquels vous pourrez compter. Mais, d’après ce que je crois savoir, eux non
plus ne possèdent pas la moindre arme valable.
— Francs-Tireurs et
Partisans ? Forces françaises de l’Intérieur ?
— On dit F. T. P et
F.F.I. Pour moi ce sont tous des patriotes, mais il faut admettre que, dans l’ensemble,
les F.T.P. forment une troupe mieux organisée et plus disciplinée. Ils
combattent sous une étiquette politique d’extrême gauche. Ils sont issus des
communistes persécutés par les nazis. »
Ferdinand, le F.T.P., arrive
le premier. D’emblée il déplaît souverainement à Thomé. Malgré son extrême
jeunesse, il adopte un ton suffisant et arrogant.
« Ils se sont quand
même décidés à vous envoyer ! dit-il. Je suppose que vous avez des armes à
nous remettre ? »
Thomé fait la sourde
oreille. Il a attaqué un gros morceau de fromage, coupe une tranche de pain à l’aide
de sa dague de commando. Il ne répond pas, ne semble préoccupé que par la
succulence de son repas.
« Malgré mes
vêtements civils, je vous signale, lieutenant, que mon grade est capitaine, que
par ce fait, vous et vos hommes vous trouvez sous mon commandement. Il y a une
semaine que l’état-major du général Kœnig nous a fait part de l’imminence de
votre arrivée. Une dernière fois, je vous somme de me répondre : Quand
comptez-vous nous distribuer les armes qui nous sont destinées ?
— Si vous m’y
autorisez, amiral, je reprendrai volontiers un peu de votre délicieux fromage
de chèvre, susurre Thomé sur un ton mondain, en se servant un verre de cidre.
— Mais je vous en
prie, lieutenant, réplique Boisanger, qui entre dans le jeu. Ils n’ont plus, hélas !
la même teneur en matière grasse qu’avant le conflit, mais la saveur demeure.
— Vous vous foutez
de moi, écume le F.T.P. Vous n’avez pas encore les deux pieds sur le sol de
France et déjà vous redevenez les laquais de la noblesse et de la bourgeoisie. »
Thomé se lève. Il essuie
et rengaine sa dague. Sans élever la voix, plongeant son regard noir vers
Ferdinand, il déclare :
« Écoute, mon
bonhomme, comme je ne pense pas qu’un con soit nécessairement un mauvais soldat,
si j’avais des armes, je te les distribuerais. Mais pour l’instant, si tu ne
fermes pas ta grande gueule, tout ce que je vais te distribuer c’est un coup de
pied au cul qui va t’envoyer valser jusqu’à Moscou. »
Pendant que Thomé
parlait, Paul Lehir, le mécano, est entré. Le chef des F.F.I. n’a rien perdu de
la réplique, il est souriant, presque hilare. Il applique une grande claque dans
le dos de Ferdinand, va serrer chaleureusement la main de Thomé, plus
respectueusement celle de l’amiral, puis en quelques mots habiles, il arrondit
les angles.
« Allons, Ferdinand,
c’est pas un curé… C’est même peut-être pas un aristocrate… C’est un parachutiste
français qui vient combattre à nos côtés. (Se tournant vers Thomé ; il
poursuit :) Ne mésestimez ni Ferdinand ni ses hommes, mon lieutenant.
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