Qui ose vaincra
parachute qui lui
entoure le cou. Thomé constate la moiteur de ses mains ; son angoisse s’accroît.
Cette angoisse ce n’est
ni la peur de la mort ni l’imminence du combat qui la provoquent. Seulement, deux
minutes avant l’action, le lieutenant Thomé constate qu’il est moins inexorable
qu’il ne l’avait présumé.
Il avait projeté de
bondir sur la sentinelle par-derrière et de lui enfoncer sa dague dans une
veine jugulaire – geste que, à l’entraînement, il avait cent fois répété
sur des mannequins de son.
Mais il vient de
réaliser qu’il en sera incapable, et il se demande s’il y a lieu d’en être fier
ou honteux.
Thomé dégoupille une
grenade, la conserve dans sa paume dont la moiteur s’est encore accentuée. Serrant
la cuiller afin de prévenir le déclenchement, le lieutenant Thomé demeure tapi,
les yeux rivés sur la trotteuse de sa montre : il attend le fracas
lointain que doit provoquer l’attaque du transformateur.
L’explosion se produit
avec deux secondes d’avance. Alors Thomé ouvre la main, libérant la cuiller, compte
lentement jusqu’à quatre, lance l’engin qui atterrit aux pieds de la sentinelle
et explose au moment précis où touche le sol.
L’homme s’effondre, déchiqueté.
Une mare de sang s’étend sur le perron, trouve le chemin d’un dalot par lequel
elle s’écoule.
Simultanément les sept « zazous »
ont bondi et balancent des grenades par toutes les ouvertures. Ils sont
ahurissants de précision, aucun ne rate son coup. Après les premières
explosions, ils ont resserré leur cercle au tour de la bâtisse. Quatre Allemands
affolés tentent une sortie. Ils sont couchés par le fusil mitrailleur de
Briguet.
Si Thomé n’avait pas
hurlé : « Halte au feu ! », les parachutistes auraient continué
jusqu’à épuisement de leurs grenades (ils en avaient chacun une vingtaine). Sur
l’ordre de leur lieutenant, tous arrêtent leur jet. Un silence oppressant s’abat
sur la bourgade. Dans leurs oreilles, les « zazous » gardent un long
moment le sifflement lugubre causé par l’ampleur du fracas qu’ils viennent de
provoquer.
Une lourde fumée
grisâtre s’échappe par toutes les issues du bâtiment. Puis une odeur
pestilentielle saisit les parachutistes – l’odeur de la poudre, du sang, du
carnage, de la mort.
« Sortez tous de là,
sans armes, et les mains en l’air », hurle Thomé en français.
Le lieutenant perçoit au
premier étage un flottement. Des bribes chuchotées, un conciliabule hâtif ;
enfin une voix répond :
« Kamarads, monsieur !… Tous kamarads ! » Le timbre de la voix vibre sous la panique. Dans ces
quatre mots, l’Allemand vient de faire éclater toute la peur du monde. Étrangement,
Thomé a pitié. Il conserve pourtant l’arrogance des vainqueurs.
« Ça vient ? gueule-t-il.
Sinon je reprends le tir.
— Pas possible, monsieur,
reprend la voix terrifiée Escalier kaputt. »
Sur la gauche de Thomé
retentit un formidable éclat de rire. C’est le petit Le Nabour dont les nerfs
se relâchent.
« André, bon sang !
Tu te crois aux bains de mer ! braille le lieutenant. Couvrez-moi, je vais
jeter un œil. »
Thomé sait que ses
hommes l’observent. À dessein il marche droit, calme, à découvert. Il gravit
les marches du perron, enjambe le corps de la sentinelle et pénètre dans le
bâtiment avec la désinvolture d’un promeneur du dimanche.
À l’intérieur, sorti du
champ visuel de ses « gosses », le lieutenant bondit à l’abri. Reprend
une attitude prudente et méfiante, sa mitraillette prête à tirer. L’odeur
écœurante le suffoque, l’intensité de la fumée brûle ses yeux. Les larmes glissent
sur ses joues ; dans la semi-obscurité il constate qu’effectivement l’escalier
de bois s’est effondré. Il jette un bref regard dans le poste de garde, aperçoit
quatre corps en charpie.
« André, Guy, rejoignez-moi ! »
crie le lieutenant vers l’extérieur.
Les deux parachutistes
arrivent en courant. Thomé leur chuchote :
« Tirez le gros
buffet au milieu de la pièce. La seule chose qu’ils puissent tenter c’est de
nous balancer une grenade.
— Pensez-vous, ils
pissent dans leur froc », raille Le Nabour.
Thomé lui jette un
regard sévère, le petit André se précipite sur le buffet.
« Y a-t-il un
officier vivant là-haut ? » hurle Thomé. Une voix grave et emphatique
se fait entendre, cette dans un
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