Qui ose vaincra
ne sourit pratiquement jamais, se prépare à faire la guerre avec la rage
et la haine de ceux de sa race. C’est le meilleur tireur au fusil des deux
régiments.
Les « zazous »
s’appellent : André Le Nabour (le Nabot, à cause de sa petite taille), Philippe
Dubosc, Mendiondo, Clément, Garros, Briguet, Raymond Paulus, Bellon (il a tout
juste quinze ans), Galano, Bruand et Guy Guichard. Ils forment un étrange
panaché d’adolescents rêveurs et de professionnels de la violence.
Les « zazous »
viennent d’atterrir en silence et se regroupent sans difficulté. Ils sont tombés
dans les fougères ; un seul incident s’est produit, mais il est de taille :
Thomé constate amèrement que Philippe Dubosc s’est cassé la jambe. Son stick ne
comprend plus que douze hommes. Il s’embusque à proximité d’un sentier, décide
d’attendre l’aube.
À 4 heures du matin, deux
braconniers empruntent le sentier. Ils sont tout d’abord terrifiés lorsque
quatre soldats bondissent et les entourent, leur labourant les reins de leurs
armes ; ils se rassurent à demi en constatant qu’ils ont affaire à des Français
puis, très vite, c’est la scène habituelle des embrassades, des larmes, et des
tapes dans le dos.
« Faut aller voir
au château, sûr que l’amiral va vous cacher et vous aider. Vu que l’amiral, les
Boches il les a jamais piffés.
— L’amiral ?
— L’amiral de
Boisanger, renchérit le second braconnier. C’est notre châtelain, à Daoulas, c’est
à moins d’une lieue.
— C’est un
résistant ? s’enquiert Thomé.
— Oh ! dame, un
résistant, j’pourrais pas dire. C’est plus un tout jeune, not’e châtelain. Mais
ce qui est sûr, c’est qu’on l’a jamais vu copiner avec l’occupant comme
certains que je pourrais causer.
— Tu pourrais me
conduire ?
— Ma foi, en
partant tout de suite à travers champs, vous n’aurez qu’à marcher à cinquante
mètres derrière nous. »
Thomé se retourne vers
Klein.
« Prends le
commandement et fais confectionner une attelle pour la jambe de Philippe. S’il
souffre trop, faites-lui une seconde morphine. Ne bougez sous aucun prétexte. Je
vais présenter mes devoirs à la « Royale ». Dès que possible je vous
rejoindrai. »
La demeure de Boisanger
surplombe le gros bourg de Daoulas ; c’est une lourde bâtisse, une de ces
gentilhommières bretonnes baptisées châteaux par les villageois. À vingt mètres
du portail, les braconniers ont désigné les lieux et se sont prudemment
éclipsés.
Dans un mélange d’émotion
et d’inquiétude, Thomé fait jouer le marteau de bronze de la massive petite
porte ogivale. Les gonds mal huilés grincent. La porte s’entrouvre, laissant
apparaître une coiffe bretonne qui surmonte un visage ridé comme une pomme
blette. La vieille servante porte les mains à sa bouche dans un mouvement d’effroi ;
sans refermer, elle pivote et glisse à petits pas en marmonnant :
« Seigneur, les
Allemands ! Seigneur, aidez-nous ! » Thomé pousse la porte et
pénètre dans un hall glacial. Tout est de pierre, massif, ancestral, grandiose.
« Y a-t-il quelqu’un ? »
lance le lieutenant d’une voix forte qu’amplifie encore un sonore écho.
Se drapant, majestueux, dans
une robe de chambre de soie, un grand vieillard maigre et droit descend l’escalier
médiéval. Il est évident qu’il sort de son lit ; il est non moins évident
qu’il a pris le temps de peigner son épaisse chevelure neigeuse et de passer
autour de son cou le ruban noir qui supporte son monocle. Il s’arrête sur la troisième
marche, de façon à surplomber Thomé. D’un geste altier, il ajuste son monocle
et dévisage un instant l’officier. Puis, d’une voix hautaine, dans un allemand
malhabile, il déclare : « Que puis-je pour vous, monsieur ? »
Bêtement intimidé, Thomé bredouille : « Je crains qu’il n’y ait un
malentendu…
— Que vous
connaissiez notre langue ne constitue en rien un malentendu, reprend, en
français cette fois, le noble vieillard. Le seul malentendu me semble être
votre présence en cette demeure.
— Mais je suis
français, amiral, réplique le lieutenant en se présentant. Lieutenant Thomé, du
3 e régiment de chasseurs parachutistes. J’arrive d’Angleterre. »
Pourtant littéralement
cueilli à froid, l’amiral de Boisanger, dans un curieux réflexe, ne change en
rien la préciosité affectée de son ton.
«
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