Qui ose vaincra
étaient occupés
à piller ; ils entassaient, dans cinq camions, des draps, des victuailles,
des boissons. Ils étaient en tout une soixantaine de retardataires, le reste
des deux compagnies ayant quitté la ville une heure avant en direction de Brest.
Sans ralentir, Thomé
fait le tour de la place. Des dents il a dégoupillé sa grenade et, conduisant d’une
seule main, l’a jetée dans les pieds d’un quatuor de sous-officiers qui, en
courant, cherchaient un abri.
Guichard et Klein n’arrêtent
pas. Ils dégoupillent, lancent, dégoupillent, lancent.
La voiture fait trois
fois le tour. Les grenades explosent à une vertigineuse cadence. La surprise a
été telle que pas un des Allemands n’a la moindre réaction de riposte. Tous
agissent dans le même réflexe : se mettre à couvert ou fuir.
En moins de deux minutes,
il ne reste plus sur la place de Landerneau que des morts et des blessés. Tous
les hommes valides se sont évanouis dans les rues voisines.
Thomé ralentit
progressivement. Un camion démarre lourdement, une dizaine de survivants se
sont entassés sous la toile du plateau. Guichard réussit un prodigieux jet de
grenades. À plus de dix mètres, le projectile voltige au-dessus de la bâche et
explose sur le capot. Le pare-brise éclate, le moteur s’enflamme, le réservoir
se répand, le camion s’embrase.
Thomé arrête la Mercedes.
Attentifs, mitraillette au poing, les parachutistes observent. Un silence
insolite et pesant s’est abattu sur la grande place, puis un cri déchirant se
fait entendre : un blessé hurle sa douleur.
« Tu as la
pharmacie ? interroge le lieutenant.
— Évidemment.
— Va lui faire une
morphine, je te couvre, je ne peux pas supporter ça. »
Prudemment, le doigt sur
la détente, Klein s’approche de l’homme qui geint. Le S.S. a des éclats dans la
cuisse, son sexe est déchiqueté, son ventre atteint. Lorsqu’il aperçoit le
sergent qui s’approche, il pense qu’il va être achevé. Il hurle :
« Nein ! »
Klein rectifie la
position de son arme et tente de faire comprendre qu’il n’a pas d’intention
belliqueuse, un genou à terre, il ouvre le sac à pharmacie, en extrait une
petite lancette de morphine, la montre au blessé en bafouillant : « Gut,
gut ! »
Le S.S. se rassure un
peu. Mais sa panique reprend lorsque Klein dégaine sa dague de commando. Il
répète :
« Nein ! Nein ! »
Klein en a assez. Il
gueule en français sans se faire comprendre :
« Mais tu vas pas
la fermer, pauvre con ! C’est pour couper ta manche. »
Pour y parvenir le
sergent est contraint d’attraper le poignet du mourant et de le lui maintenir
au sol. Klein fend la manche sur toute la longueur, fait une piqûre, soulève de
sa main ouverte la tête du blessé, de l’autre il enlève le foulard de soie de
parachute qu’il porte noué autour de son cou, et essuie doucement le front et
les yeux du soldat, les joues déjà ternes sur lesquelles les larmes se mêlent à
la sueur.
Un cadavre gît à
cinquante centimètres. Klein l’attrape par son ceinturon et le tire à lui, puis
cale confortablement la tête du mourant sur la cuisse du mort. Il examine
ensuite la blessure, et hoche la tête :
« Mon pauvre vieux,
dire que tu avais peur que je te bute ! Je t’aurais rendu un fameux
service ! »
Il fait une seconde morphine
et rejoint la Mercedes. « Ça va, il est sage ? s’enquiert Thomé.
— C’est dégueulasse,
mon lieutenant. Il a ramassé un détonateur dans les couilles. On gueulerait à
moins. »
Guichard fait une
grimace ; instinctivement il porte les mains à son sexe.
« Qu’est-ce qu’on
fait, maintenant ? On taille la route ?
— Attendons encore
un peu. Je pense que les sentinelles à l’entrée ont foutu le camp avec les
autres, mais je préfère m’en assurer. »
Le silence est
maintenant absolu. Une porte qu’on entrouvre prudemment fait grincer ses gonds
fatigués. Un petit bonhomme rondouillard apparaît, circonspect. Il jette à
droite et à gauche des regards scrupuleux, puis, rasséréné, se ceint d’une
écharpe tricolore et avance vers la Mercedes.
« Je suis l’adjoint
de l’adjoint au maire, explique-t-il à Thomé. En leur absence, j’assume leurs
fonctions. »
Le ton est solennel. Brusquement
il change : le petit homme tend ses petits bras grands ouverts et crie de
toutes ses forces :
« Bienvenue à nos
libérateurs ! » Thomé et ses hommes en
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