Qui ose vaincra
balance des vacheries, alors que ça fait un
quart d’heure que tu essaies de me saper le moral avec tes conneries. Tu crois
que c’est marrant ? Depuis dix jours, on se crève le cul comme des damnés,
aujourd’hui je décide de t’offrir un après-midi de détente, une promenade à la
campagne en décapotable, et qu’est-ce que j’entends ! « Les Boches
ont des fusils mitrailleurs… Et il y a des S.S. à Landerneau… Et ma Mercedes, elle
braque pas… » Avoue qu’il y a de quoi s’énerver !
— Oh ! ça va, allons
nous détendre chez les S.S., concède Klein.
— Vous m’emmenez, mon
lieutenant ? lance Guichard, qui a assisté à la « prise de gueule »
de ses supérieurs. Moi j’ai pas peur !
— Continue sur ce
ton, Guichard, balance Klein, hargneux, et attends que je te coince seul à seul.
Tu regretteras de ne pas être tombé dans les mains de la Gestapo.
— Il a raison, Guichard,
tranche Thomé. Dans l’armée, l’esprit est le privilège des gradés. Les
subordonnés doivent se contenter de rire des plaisanteries de leurs supérieurs,
même si elles ne les amusent pas. C’est fondamental.
— En attendant, va
chercher une caisse de grenades, interrompt Klein. J’en veux plein les sièges. Je
sais bien qu’on va se promener, qu’on va se détendre, mais on ne sait jamais. »
La puissante voiture
avale la route. Thomé a le pied au plancher, l’aiguille de l’indicateur oscille
entre 150 et 160. Les trois parachutistes sont enivrés par le vent qui frappe
leurs visages. Klein regarde loin devant pour découvrir à temps le virage ;
il ignore que les Allemands ont refait la route, que la courbe n’existe plus.
Le poste de garde des S.S.
est installé juste à l’entrée de la ville. Les trois parachutistes se
retrouvent à sa hauteur à près de 120 kilomètres à l’heure. Les sentinelles ne
reconnaissent pas les uniformes. Elles saluent la voiture au passage.
« Merde ! gueule
Thomé. On est dans la ville ! Si on fait demi-tour, les mitrailleurs
risquent de se réveiller.
— Ça m’étonnerait
qu’ils saluent une seconde fois, fait remarquer Klein.
— On va essayer de
trouver une autre sortie.
— Ben, voyons, mon
lieutenant, c’est enfantin », raille Klein, en dégoupillant deux grenades
qu’il serre dans chacune de ses mains.
Il se retourne vers
Guichard pour lui signifier de l’imiter, mais c’est superflu : Guichard, vautré
nonchalamment à l’arrière, a déjà, lui aussi, une grenade dégoupillée dans
chaque main.
« Un après-midi de
détente… Une promenade à la campagne… maugrée Klein. Et en plus, j’en étais sûr…
— Oh ! ta
gueule, tu veux ! C’est pas le moment de pleurnicher, même si tu as raison. »
La Mercedes glisse
majestueusement dans un dédale de ruelles étroites. Thomé est d’un calme
olympien. Il conduit avec sûreté, il a rétrogradé en troisième, il passe en
seconde. Sa main, d’un geste naturel, s’est saisi d’une grenade qu’il porte et
conserve à sa bouche, serrant ses dents sur la cuiller.
Les ruelles deviennent
de plus en plus étroites. Enfin la Mercedes s’engage dans une artère pentue
dans laquelle elle a juste la place de se faufiler. À deux cents mètres devant
eux, légèrement en contrebas, les trois parachutistes aperçoivent la grande
place de Landerneau. Elle grouille de soldats allemands ; plusieurs d’entre
eux regardent, intrigués, la voiture qui s’approche.
« Je crois qu’on
est arrivés, déclare calmement Thomé, en arrêtant le véhicule en souplesse.
— On fait marche
arrière, mon lieutenant ? »
Thomé ne répond pas. Il
porte la main au rétroviseur et l’axe dans le champ visuel du sergent. Klein
découvre dans le miroir une vingtaine de soldats qui s’avancent vers eux, l’arme
à la bretelle. Entre ses dents, Klein siffle, admiratif.
« Tenez-vous bien, on
y va », annonce le lieutenant.
Il emballe le moteur, embraye
d’un coup sec, parvient à passer la seconde avant la place sur laquelle la Mercedes
débouche comme une fusée.
Surpris, un Allemand est
happé par l’aile ; soulevé, il va s’écraser à trois mètres.
Klein et Guichard ont
simultanément jeté quatre grenades. Malgré la vitesse du véhicule et la force
centrifuge qui les a plaqués pendant le virage à angle droit, aucune n’a été
lancée au hasard. Les engins ont atterri et explosé au cœur de groupes compacts.
Les S.S.
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