Qui ose vaincra
loin qu’un point minuscule sur la route.
— Une bagnole seule,
mais quelle bagnole ! Mercedes ! Décapotable ! La 540 K.
— Elle est
décapotée ?
— Oui, oui, tu
parles !
— On balance une
grenade au passage, mon lieutenant ?
— Non, mais tu
rêves ! Tu veux m’abîmer ma voiture ? Tu tires le chauffeur. Et
de profil, encore, ne va pas me péter mon pare-brise. Il y a aussi un
type vautré à l’arrière.
— C’est peut-être
Hitler, lance Guichard.
— Et des pneus à
flancs blancs. Des gros tuyaux nikelés sur le côté. Y a cinq ans que je rêve d’une
bagnole comme ça. »
Les hommes distinguent
maintenant la voiture à l’œil nu ; elle glisse, silencieuse et majestueuse,
à petite tesse.
« Je vais le tirer
dans la tempe, annonce Klein. Ça saigne pas, je ne voudrais pas salir vos coussins. »
La Mercedes passe. Un
seul coup de feu est tiré. Tué net, le chauffeur bascule en avant, s’effondre
sur le volant. Son pied glisse de l’accélérateur, le moteur cale, la voiture s’immobilise.
À l’arrière, l’officier s’est retourné ; pistolet au poing, il vide le
chargeur au hasard. À son tour il est tué d’une balle en plein front ; c’est
Klein qui, avec une fantastique précision, a tiré aussi le second projectile.
« Je m’excuse, mon
lieutenant, mais il risquait de faire mal, explique-t-il, contrit. Une de ses
balles m’a sifflé aux oreilles. »
Les parachutistes s’approchent
de la superbe voiture, constatent la mort de ses deux occupants.
« Un général des
Waffen S.S. ! C’est dommage ! déplore Thomé. Quel con aussi avec son
revolver…
— On lui aurait fait
faire la vaisselle à la ferme dans son bel uniforme, lance Guichard. J’aurais
fait des photos.
— Sans compter qu’il
jouait sûrement aux échecs », conclut amèrement Thomé.
Le lieutenant est un peu
réticent quand l’ensemble de l’équipe réclame une place à bord, mais il ne peut
se résoudre à fractionner ses hommes. Tous les dix s’entassent dans le superbe
véhicule et regagnent la ferme.
L’officier météo
allemand vient de finir le ménage, Thomé lui ordonne de laver la voiture.
« Et que ça brille !
L’ancien propriétaire était un véritable porc, c’est une honte de ne pas
soigner une pareille merveille ! Quand elle étincellera, vous vérifierez l’huile
et l’eau.
— Vous l’avez payée
cher, lieutenant ? raille l’Allemand.
— J’ai débattu le
prix. Finalement je crois avoir fait une affaire. »
Vers midi, la Mercedes
est lustrée. Thomé, Klein et Guichard l’admirent amoureusement.
« Déplie-moi une
carte », lance le lieutenant.
Klein étale une carte de
soie sur le capot de la voiture.
« Qu’est-ce que
vous cherchez, mon lieutenant ?
— Une longue ligne
droite.
— Je vois, ça va
barder, elle doit approcher du 200.
— C’est ce que
Mercedes prétend, on va vérifier. En allant sur Landerneau, on a dix kilomètres
sans un virage.
— Oui, mais à
Landerneau il y a les S.S.
— Regarde ce
tournant, il n’est qu’à deux kilomètres de la ville, et on l’apercevra de loin.
Il n’y aura alors qu’à faire demi-tour.
— Si vous étiez
allemand et que vous teniez Landerneau, où est-ce que vous posteriez vos fusils
mitrailleurs ?
— Dans le virage, et
ils y sont sûrement. Mais je te le répète, on le verra de loin et la route est
large.
— Vous savez, mon
lieutenant, je voudrais pas vous faire de la peine, mais les Mercedes c’est pas
tellement réputé pour leur braquage.
— Non, mais tu m’uses
le moral, sergent. Si tu as le trac, tu n’as qu’à le dire. J’emmènerai la fille
Bouguennec, tu n’auras qu’à te charger des travaux ménagers à sa place pendant
notre promenade. »
Le sergent Klein est un
homme vif et intelligent. Il possède un indéniable sens de l’humour. Il lui
arrive fréquemment de plaisanter sans tendresse. Pourtant dans le cas présent, il
réagit mal. Lorsqu’il est en colère – ou paradoxalement lorsqu’il échange
des propos excessivement sérieux avec Thomé –, il tutoie son officier, ce
qui du reste est fréquent dans les unités S.A.S.
« En fin de compte,
Thomé, tu es un sale type, on a bien tort de t’estimer et de t’aduler, tu
penses qu’à balancer des vacheries méprisantes, tu n’es heureux que quand tu
fais mal. »
Thomé répond sur un ton
rigolard :
« Ça, c’est la
meilleure ! C’est moi qui
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