Qui ose vaincra
chance. Ils
sont dans la même situation que nous.
— Vous pouvez m’aider
à leur trouver du pain pour ce soir ?
— J’ai des boules
pour mes hommes, on va partager.
Ils vont être heureux s’ils
apprennent pour qui ils se serrent la ceinture. »
Laissant les prisonniers
sous la responsabilité de Klein, Thomé et Lehir partent dans la nuit sur un
gazogène asthmatique. Les deux hommes visitent les maquis ; partout la
réponse est la même :
« Que voulez-vous
qu’on en foute ? Comment voulez-vous qu’on les nourrisse ?
— Nous nous
trouvons devant l’une des situations les plus extravagantes qu’on puisse
imaginer, maugrée Thomé, tandis que Lehir fixe son attention sur la délicate
conduite du camion dont les phares sont éteints.
— Les Chleus sont
partout. Et il faut reconnaître ceux qui veulent se battre de ceux qui en ont
par-dessus la tête. Nous sommes encerclés par les Allemands qui sont encerclés
par les Américains. Tout ça risque fort de se terminer en couille…
— Et ça ne résout
pas le problème des « copains », comme les appelle votre caporal.
— Si on ne le
résout pas, c’est qu’il est insoluble. Si les journaux paraissaient encore, on
pourrait mettre une petite annonce : « A céder lot de parachutistes
allemands en pleine santé, prix défiant toute concurrence… »
Lehir éclate de rire.
« Mon lieutenant, vous
me donnez une idée ! Quand un grossiste n’arrive pas à se défaire d’une
marchandise d’un seul bloc, il la détaille. Les maquis ont refusé de prendre en
charge tout le paquet, mais deux ou trois ils pourraient les faire marner.
— Et en plus tu
penses ! Évidemment, c’est la solution. Tu peux te charger de la
distribution ?
— D’accord. Demain
à l’aube, j’embarque le lot et je les fourgue à droite et à gauche. Vous
pourriez donner l’exemple en en gardant deux ou trois.
— Je garde « l’officier
météo ». Un interprète, ça peut servir, et puis il m’a dit qu’il jouait
aux échecs. Si nous devons passer l’hiver ici…
— Parti comme c’est,
ça se pourrait ! Les Américains m’ont l’air d’être davantage intéressés
par la prise de Berlin que par celle de Plougastel. »
39
9 août 6 heures du matin.
Thomé et ses « J 3 » sont embusqués de chaque côté de la route entre
Sizun et Daoulas. Comme dit Le Nabour, « ils attendent le client ». Jusqu’à
six véhicules, ils attaquent ; au-dessus de ce nombre, ils laissent passer.
L’attente dans l’aube n’a
rien de réjouissant, d’autant que Thomé leur a interdit de fumer. À 7 heures, les
parachutistes n’ont vu passer qu’une charrette tirée par une vieille carne.
« Les affaires sont
en baisse, murmure le sergent Klein. Les rabatteurs roupillent. »
Les « rabatteurs »,
c’est le nom dont les « zazous » ont affublé les Américains qui ont
libéré Lannion, Guingamp, Pontivy et Vannes, et qui, circulant sur cet axe, interdisent
aux Allemands toute retraite vers l’est.
« C’est des veaux, ces
mecs-là, je l’ai toujours dit. Il vaut mieux un bon clebs qu’une section de Rangers.
— Tu fermes ta gueule avec
tes vannes, Dédé », intervient le lieutenant.
Du point où il se trouve,
Thomé découvre la route sur plusieurs kilomètres. Il scrute fréquemment l’horizon
à la jumelle, prévenant toute arrivée.
« Le fait est qu’ils
ne sont pas d’humeur baladeuse ce matin. Si ça continue, on va rentrer les
mains vides.
— On pourrait pas
griller une petite pipe, mon lieutenant ? » interroge Guy Guichard
sans la moindre conviction.
Thomé ne répond même pas,
Guichard hausse les épaules et reprend :
« On se rouille… On
peut pas fumer. La seule gonzesse qu’on a vue depuis six jours s’est fait lever
par un F.F.I.. Pas le moindre petit S.S. à l’horizon. Et il va pleuvoir. C’est
pas des vacances, moi je vous le dis, c’est pas des vacances…
— Suffit, Guichard,
tranche Klein. Ton théâtre aux Armées, on en a soupé. Tu rabâches.
— Faut bien passer
le temps, sergent.
— Vos gueules, interrompt
Thomé, on a de la visite. »
Les visages se tendent, les
mains se crispent sur les armes. Le lieutenant conserve ses jumelles vissées
aux yeux, règle la focale au fur et à mesure de l’approche du véhicule. Il
grince entre ses dents :
« Oh ! putain,
quelle merveille !
— Qu’est-ce que c’est ?
interroge Klein, qui ne distingue au
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