Qui ose vaincra
terminent eux aussi leur repas. Ils se sont installés par
tables de deux ou trois.
Il fait un temps superbe,
les fenêtres sont grandes ouvertes. Soudain toutes les têtes se lèvent à l’arrivée
spectaculaire d’un cycliste.
L’homme a dévalé à toute
vitesse la rue en pente. Devant l’hôtel il a freiné dans un grincement geignard,
a jeté sans précaution son vélo contre le mur, et a passé le portail en courant.
Il est dégoulinant de sueur, sa chemise est plaquée sur son dos par la
transpiration, il porte un béret enfoncé sur le crâne jusqu’à ses oreilles
largement décollées. Autour de la manche gauche de sa chemise, un brassard
tricolore est fixé à l’aide d’une épingle double. Sur le blanc, à l’encre de
Chine, les sigles F.F.I. ont été grossièrement tracés.
L’homme pénètre dans la
salle de restaurant. Dans un empressement démonstratif, il se renseigne à une
table, puis se dirige en courant presque vers celle où le lieutenant Fauquet
termine son fromage.
« Lieutenant
Fauquet ? s’enquiert l’arrivant.
— C’est moi »,
répond Fauquet, intrigué.
L’homme sort une
enveloppe de sa poche, Fauquet s’en saisit, constate qu’effectivement elle
porte son nom.
« C’est un message
d’une extrême urgence, explique l’étrange résistant d’une voix suffisamment
haute pour être entendu de toute la salle. Un de vos parachutistes qui loge
chez moi m’a chargé de vous l’apporter aussi vite que je pourrais. J’ai mis à
peine neuf minutes, et ma ferme est à cinq kilomètres. »
Fauquet dégaine sa dague
dont il se sert pour ouvrir l’enveloppe. Attentivement il prend connaissance du
message qu’il replie soigneusement avant de le faire disparaître dans la poche
de sa chemise. Gravement il se lève et se dirige vers le mur sur lequel est
punaisée la carte d’état-major, après avoir ordonné au messager :
« Suivez-moi. »
Pensif et austère, le
lieutenant contemple la carte. Puis son index se porte sur un point.
« Vous connaissez
ce bois ? demande-t-il au résistant.
— Oui, je connais
bien la région, répond l’homme, soudain moins empressé.
— Vous pouvez m’y
conduire immédiatement ?
— Qu’est-ce qu’il y
a là-bas ? questionne l’homme un ton qui laisse percer une évidente
inquiétude.
— Rien de sérieux, ne
vous inquiétez pas. Conduisez -moi, c’est tout. »
La scène n’a échappé ni
au colonel Bourgoin ni au commandant F.F.I. qui partage son repas. Celui-ci, sur
le ton de la confidence, chuchote, se rapprochant du colonel :
— Dites à votre
lieutenant de se méfier. Ce type n’est pas un trop mauvais bougre, mais c’est
un abruti. En plus il n’est pas net, il a traficoté avec les Boches sur le
ravitaillement. On lui fout la paix, on le laisse même faire le guignol avec
son brassard, à cause de la simplicité de son esprit, mais ne lui faites aucune
confiance.
— C’est bon, allons-y,
vient de conclure Fauquet,, lui s’apprête à sortir suivi de l’homme.
— Fauquet !
— Mon colonel ?
— Que dit le
message qu’on vient de vous transmettre ?
— Oh ! ce n’est
rien mon colonel. Simple vérification de routine. Je suis de retour dans une
heure tout au plus. »
Bourgoin ne répond pas. Il
tend simplement sa main valide et fixe son subordonné d’un regard froid et
sévère.
« Je vous affirme, mon
colonel », tente de parlementer Fauquet…
La main tendue reste en
suspens. Visiblement à contrecœur, Fauquet extrait le message de sa poche et le
tend à son chef.
Bourgoin en prend
connaissance sans le moindre mouvement de physionomie, puis en rendant le
papier au lieutenant il demande simplement :
« Bébert ?
— Robert Crœnne, mon
colonel.
— Évidemment. C’est
bon, allez. Vous direz à Crœnne de venir me rendre compte de son coup… de
main. »
Les deux hommes quittent
la salle. Bourgoin termine sa tasse de café, après avoir rassuré son convive.
« C’est sans aucune
importance. Merci quand même de m’avoir prévenu. »
Sur le message, le
colonel venait de lire : « Retiens-moi ce con une heure ou deux, le
temps que je saute sa femme. Elle a le feu au fion, et j’ai une barre en acier
suédois. À charge de revanche. » C’était simplement signé : « Bébert. »
Dans la soirée, le
lieutenant Fauquet et le caporal Crœnne traînent dans le village en jeep. Fauquet
s’apprête à raccompagner son subordonné
Weitere Kostenlose Bücher