Qui ose vaincra
n’imagines pas que l’on va te laisser y aller seul.
— Et vous deux, derrière ?
— Pas question que
je quitte la jeep, répond Bodard, j’ai pas envie de rentrer à pied.
— Moi, y a un truc
qui me chiffonne dans cette histoire, mon lieutenant, ajoute Lucas.
— Je t’écoute.
— Qu’est-ce que c’est
au juste un plénipotentiaire ? »
Le Bobinnec répond dans
un sourire : « Dans le cas présent, une sorte de super-pigeon.
— Je vous fais
confectionner un drapeau blanc », interrompt le colonel F.F.I. qui lance
un ordre à l’un de ses hommes.
Boutinot interpelle
celui-ci avant qu’il s’éloigne : « Hé ! dis donc, lésine pas sur
le métrage ! J’aime autant qu’on le voie de loin… »
42
La jeep roule à quarante à l’heure. Les mitrailleuses ont été relevées par la culasse, les canons dirigés vers le sol. C’est le sous-lieutenant Le Bobinnec qui conduit. Le sergent Boutinot se tient debout à l’avant, brandissant le drapeau blanc qui flotte et claque sous le vent tiède.
« Mon lieutenant, interroge de l’arrière Lucas qui suit son idée, dans cette histoire de con, il n’y a que vous qui êtes plénipotentiaire ? Ou est-ce qu’on en est tous les quatre ?
— Tous les quatre, bien entendu. Mais je ne vois vraiment pas ce que ça peut te foutre.
— J’aime bien ce mot-là, mon lieutenant, ça fait plus riche que troufion ou bidasse, non ? »
Boutinot rigole.
« Dans les jours à venir il y a des bonniches qui vont enrichir leur vocabulaire, raillet-il.
— Agite ton drapeau, au lieu de déconner ! interrompt le sous-lieutenant. Tu vois ce que je vois ?
— Un peu. Qu’est-ce qu’on fait ?
— On passe la seconde, répond Le Bobinnec résigné, en s’exécutant. Puis on enclenche la première. Enfin, on se met au point mort, et on sourit. »
En roue libre, la jeep glisse. Elle va mourir dans son élan entre deux nids de mitrailleuses lourdes. De chaque côté de la route, cinq Allemands casqués se tiennent à l’entrée de Saint-Pierre-le-Moûtier. Les mitrailleuses sont protégées par deux remparts de pierres superposées. Les Allemands ne bougent pas. Les servants des mitrailleuses conservent le doigt sur la détente.
Dans un surprenant « petit nègre », Le Bobinnec ré clame :
« Offizier, eine offizier, franzosich spoken… »
Un Feldwebel s’empare d’une paire de jumelles et scrute la route pour s’assurer que le véhicule est bien seul. Il repose les jumelles et, sur un ton tempétueux, crie un ordre à ses hommes. Aussitôt, six soldats passent les remparts de pierres et entourent la jeep, mitraillettes Schmesser armées au poing. Sur leur manche, en lettres gothiques, les parachutistes lisent l’inscription : Das Reich. Sur les casques, pour la première fois, ils découvrent le sinistre sigle S.S. Le Feldwebel décroche un radiotéléphone et, dans les mêmes inflexions vélaires, clabaude d’incompréhensibles braillements. Il raccroche. Alors il aboie dans la direction de la jeep :
« Adendre ! »
Autour du véhicule, les six Allemands se tiennent les jambes écartées, l’arme à la hanche, dans une attitude dérisoire et tragique de mannequins pétrifiés. Les linéaments de leurs visages trahissent leur haine et les meurtrissures portées à leur orgueil. Leurs regards fixes sont à la fois mélancoliques et impitoyables.
Les quatre parachutistes sont envahis d’un malaise provoqué davantage par le comportement de leurs gardiens que par la peur.
Boutinot cherche le premier à crever l’atmosphère insupportable. Il déploie le drapeau blanc et déclare dans un invraisemblable sabir :
— Kamarade !
Vicht méchant, franzose ! Kamarade ! »
Il ne provoque pas la moindre réaction. « C’est des vrais zombies, ces mecs-là, mon lieutenant, remarque-t-il.
— Je crains que cette fois on soit dans un merdier de compétition », lâche Le Bobinnec entre ses dents, sur un ton badin.
S’adressant au S.S. qui se trouve le plus proche de lui, Boutinot reprend d’une voix qu’il souhaite admirative, en désignant de l’index la manche du soldat : « Das Reich ! Gut soldaten, gut, gut… » Les Allemands ne cillent même pas. Boutinot sourit aimablement. En portant la main à la poche de sa vareuse, il tente d’expliquer : « Rauchen ! » (Il prononce Rochaine !) Dans un mouvement dans lequel seuls ses bras s’agitent, le S.S. lui porte un coup violent du canon de son arme sur le dos de sa main.
Le
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