Qui ose vaincra
demande Boutinot sans la moindre inquiétude.
— Si ça continue, on
peut être à Vichy dans moins de deux heures.
— Riche idée, enchaîne
Boutinot qui commence chanter, repris en chœur par le sous-lieutenant : Maréchal
nous voilà !… »
Les deux hommes
continuent à plaisanter. Ils n’ont pas le moindre sentiment de danger. C’est
tout juste s’ils s’aperçoivent qu’ils roulent maintenant dans les faubourgs de
Nevers.
Le Bobinnec ralentit. Boutinot
arme les deux mitrailleuses de tête.
« On va peut-être
un peu fort, fait-il remarquer, j’ai l’impression qu’on est à Nevers. Il est
question d’une division blindée allemande qui occupe la ville. »
Le sous-lieutenant
arrête la jeep. Presque aussitôt elle est entourée par des civils goguenards et
joyeux qui, sortant précipitamment de chaque maison, acclament les
parachutistes. Le sous-lieutenant cherche à trouver un interlocuteur valable.
« Les Allemands ?
questionne-t-il. Où sont les Allemands ?
— Ils viennent d’évacuer.
Ils ont tous foutu le camp dans la direction de Vichy, répond un facteur. Depuis
ce matin ils emballaient tout. Il y a plus de deux heures que les derniers
éléments sont partis. Allez à l’hôtel de ville, ils vous en diront davantage, ils
préparent un vin d’honneur.
— Ça tombe bien, j’ai
soif », lance Boutinot, souriant.
Sous les acclamations, la
jeep pénètre dans l’enceinte de l’hôtel de ville. Le secrétaire général rejoint
les parachutistes sur le perron, les entraîne au premier étage où une foule de
notables sont rassemblés. Les premiers bouchons de Champagne sautent.
À plusieurs reprises, Le
Bobinnec et Boutinot font des apparitions au balcon, répondent par de larges
gestes aux applaudissements, aux bravos et aux hourras de la foule.
« Ça me botte vachement,
la célébrité, fait remarquer le sergent. Tu crois qu’ils nous prennent pour de
Gaulle et Eisenhower ?
— Sans aucun doute,
réplique Le Bobinnec. Mais si on continue à ce rythme, on va se retrouver canés
comme des sagouins.
— En ce qui me
concerne je ne risque plus rien. Ça y est », lance, hilare, Boutinot, sans
pour autant oublier gestes chaleureux vers la foule.
Malgré la douce torpeur
qui commence à l’envahir, Alain Le Bobinnec réalise que la situation peut
devenir délicate. Il est 4 heures de l’après-midi, et le capitaine Leblond a dû
sans conteste s’apercevoir maintenant de leur absence ; il doit brailler
comme un beau diable.
« Je vous prie de
nous excuser, déclare cérémonieux le sous-lieutenant au secrétaire général. Nous
devons rentrer sur Cosne, rendre compte de notre mission de reconnaissance. Nous
avons une vacation avec Londres à 19 heures, il faut les aviser de la libération
de Nevers. D’autre part, je pense que notre unité viendra s’implanter chez vous
demain, et des dispositions vont devoir être prises.
— Prenez une
bouteille de Champagne pour la route », répond le secrétaire général sur
un ton qui trahit une allégresse qui n’est plus uniquement provoquée par le
départ de l’occupant.
Boutinot se saisit de la
bouteille, tandis que le secrétaire leur tend encore deux verres pleins.
Le Bobinnec a du mal à
frayer à sa jeep un chemin à travers la foule exubérante, mais dès que la voie
s’éclaircit, il reprend un rythme d’enfer, d’abord dans les rues de Nevers, ensuite
sur la route de La Charité.
« Au P.C. l’accueil
risque d’être moins chaleureux ! réalise le sous-lieutenant.
— On a libéré
Nevers, oui ou merde ? » braille Boutinot, en faisant sauter le
bouchon de la bouteille.
La mousse s’échappe sur
ses mains et ses manches ; 9 porte la bouteille à ses lèvres et engloutit
de lourdes gorgées. Ensuite, dans un rot bruyant, il la tend à son ! chef.
Conduisant de la main gauche, Le Bobinnec, à son tour, ingurgite une solide rasade.
Lorsqu’ils parviennent à
l’hôtel de Cosne dans lequel Leblond a établi son P.C., il semble que rien ne
puisse altérer la bonne humeur des deux parachutistes.
Un jeune officier sort
en coup de vent au moment où la jeep pénètre dans la cour. Il est suivi par
deux sergents.
« Alain, nom de
Dieu ! Tu es malade ! Ce coup-ci tu n’y coupes pas, tu passes le
falot.
— Le falot, mon cul !
Avec comme motif : À libéré tout seul la ville de Nevers !
— Tout seul ! Et
moi j’étais aux fraises, probablement ? jette
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