Qui ose vaincra
population,
l’arrivée de la jeep est saluée par les scènes rituelles d’exaltation
frénétique et passionnée. Un grand échalas, loin de l’âge logique des galons de
colonel qu’il arbore, se présente avec une humilité qui trahit la fragilité
dans laquelle il tient le grade dont il s’est affublé. Pourtant il paraît jouir
des prérogatives de chef et exercer sur les hommes qui l’entourent une
indéniable autorité.
« C’est le Ciel qui
vous envoie, lieutenant, déclare-t-il à Le Bobinnec. Nous nous trouvons devant
un dramatique cas de conscience. Vous arrivez à temps pour nous aider à régler
la situation.
— J’espère que vous
ne surestimez pas mes possibilités ! Je vous écoute.
— À quelques kilomètres
d’ici, à Saint-Pierre-le-Moûtier, il y a près de deux mille Allemands qui se
sont retranchés, des Boches parmi les pires, c’est un élément de la Waffen S.S.
appartenant à la division Das Reich. Ils ont pris position dans la ville
il y a quarante-huit heures. Sur la route, ils ont été harcelés par des
embuscades tendues par nos maquis. Nous leur avons infligé des pertes et il
semble qu’ils s’en trouvent fous furieux. D’après des habitants de Saint-Pierre
qui sont parvenus cette nuit à franchir leurs lignes, les S.S. se montrent d’une
extrême virulence et d’une inquiétante nervosité. Le pire est à redouter. Par
contre, ils auraient parlé de capitulation dans la mesure où ils s’y
trouveraient face à une unité régulière.
— C’est en tout cas
vraisemblable, admet Le Bobinnec. C’est partout le même processus. Ils ont une
confiance relative en votre respect des conventions de Ge nève.
— Ça leur va bien !
— Ne vous méprenez
pas. Je ne vous jette pas la pierre, mais là n’est pas la question. Qu’attendez-vous
au juste de moi ?
— Que vous tentiez
d’aller les trouver et de parlementer. »
Le Bobinnec émet un
sifflement sceptique avant de répondre :
« Ce serait un
bluff colossal ! Il n’y a rien de solide derrière moi, je suis en
patrouille de reconnaissance. Les Américains sont au nord de la Loire et ne
semblent pas disposés à la franchir ; ce serait du reste une erreur
tactique de leur part. Avez-vous des renseignements sur la progression de la LRD
armée, et notamment sur celle de la 13 e demi-brigade de Légion
étrangère qui ne devrait plus se trouver bien loin ?
— Depuis deux jours,
ils tombent sur des os, ils piétinent, et toute la tragédie est là. Entre eux
et nous, il y a une énorme concentration allemande ; certains Boches ont
opté pour la guerre à outrance, mais les plus usés, les plus modérés, les plus
défaitistes sont hantés par la même obsession : ne pas tomber entre les
mains des Français, et se rendre aux Américains. Ils se savent pris dans un
étau, ils savent qu’au nord se tiennent les Américains, et au sud les Français
libres. Ils viennent de démontrer qu’ils sont capables de se battre comme des
lions avec l’acharnement du désespoir plutôt que de se rendre aux troupes
françaises, et c’est la raison pour laquelle ils les accrochent. Ils pensent
ainsi gagner du temps, le temps qui permettrait aux Américains d’arriver jusqu’à
eux.
— Pourquoi ne
remontent-ils pas tranquillement jusqu’à la Loire ?
— Les maquis, la
Royal Air Force. Les Boches préfèrent s’implanter dans les agglomérations, et la
liste des bourgs martyrs s’allonge de jour en jour.
— Vous n’oubliez qu’un
détail, c’est que je suis français.
— Votre uniforme et
votre véhicule sont anglo-américains. Vous pouvez prétendre être envoyé en
plénipotentiaire par les Alliés.
— C’est un sacré
coup de poker votre histoire ! Un coup à se faire découper en tranches
fines pour peu que votre chef S.S. ait une crise de foie.
— Lieutenant, si
les légionnaires arrivent, ils vont les déloger à l’arme lourde ! Eux non
plus ne sont pas des poètes, vous le savez aussi bien que moi. Ça peut durer
plusieurs jours. Il y a à Saint-Pierre-le-Moûtier des milliers de civils, des
femmes, des enfants, des vieillards. »
Le Bobinnec se retourne
vers ses trois hommes.
« Qu’est-ce que
vous pensez, les gars ?
— Arrête ton cirque,
tu veux bien, Alain ! lance Boutinot. Ce qu’on en pense tu n’as rien à en
foutre, et tu le sais aussi bien que nous. Ta décision est prise depuis le
début de ce baratin. Tu
Weitere Kostenlose Bücher