Qui ose vaincra
penses pas ?
— Justement, si ça tourne mal, on serait une bonne dizaine, et parmi eux-mêmes des vrais Boches, à essayer de vous donner un coup de main.
— C’est noté, mon gars, on en parlera au lieutenant. »
La jeep du sergent Boutinot arrive à Nevers aux environs de 13 heures. Le capitaine Leblond est encore à Libie en compagnie de trois officiers britanniques : un major et deux capitaines. Leur repas est terminé, mais les quatre hommes bavardent avec le capitaine Déplanté et le sous-lieutenant Corta qui, rentrant d’une reconnaissance à la tête d’un groupe de quatorze jeeps, viennent seulement d’arriver et attaquent leur repas.
Boutinot entre précipitamment. Son visage empreint d’une gravité inaccoutumée trahit l’importance du rapport qu’il doit faire. Le sergent est écouté dans un silence religieux. Il se montre passionné, convaincant. Juste après sa conclusion, le major britannique prend ta parole :
« Je vais y aller, déclare-t-il.
Je considère ne pas avoir le droit de me dérober. »
Il a prononcé cette phrase avec flegme et un accent prononcé.
« Je suis, hélas !
obligé de m’y opposer formellement, enchaîne Leblond. Vous connaissez l’importance de votre mission, je ne puis vous permettre d’exposer votre vie. J’admets qu’à la place de Le Bobinnec j’aurais vraisemblablement agi comme lui. Pour une fois, j’admire son courage impétueux, mais je ne peux cautionner votre désir légitime de courir à son secours. Si vous insistez, nous pouvons en référer à Londres à la vacation de 19 heures, mais vous comme moi connaissons d’avance la réponse.
— Mon capitaine, interrompt Henri Déplanté, je pense que vous situez mal le problème. Il n’est pas question, d’après le rapport du sergent, d’aller sortir Alain d’un mauvais bourbier dans lequel il s’est fourré, il est question de tenter d’épargner la vie de la population civile d’une ville.
— J’entends bien, Déplanté, j’entends bien. Mais je reçois des ordres, et moi je les exécute. C’est l’idée que je me suis toujours faite d’un soldat, et c’est à ce prix que les guerres se gagnent. »
Une colère froide envahit Déplanté :
« Et vous allez avoir le courage, mon capitaine, d’attendre que la Légion ou un autre élément de la 1 ere armée réduise Saint-Pierre en tas de cendres, pendant que nous continuerons à nous empiffrer de cailles sur canapés, arrosées au Laffite-Rothschild ?
— Votre insolence ne change rien au problème, Déplanté. En outre, vous n’avez pas en main toutes les données de la situation. Alors, sachez qu’il se trouve que j’estime que la mission de renseignement dont sont chargés nos invités britanniques pèse davantage dans la balance en ce qui concerne l’issue ultime de nos combats que la survie de Saint-Pierre-le-Moûtier, ou, le cas échéant, de sa population. Ne pensez pas que ma conscience et surtout mes impulsions personnelles s’accommodent aujourd’hui de mon devoir ; je ne suis pas plus insensible que vous et je déplore amèrement de ne pouvoir intervenir. Mais je ne le peux pas, je n’en ai pas le droit.
— Et moi, mon capitaine ?
— Comment, vous ?
— Vous m’autorisez à y aller avec mon esquadron ?
— Vous n’êtes pas anglais, que je sache. Vous avez entendu Boutinot. S’ils refusent de reconnaître Le Bobinnec, ils ne vous reconnaîtront pas davantage.
— Je ne suis pas anglais, mais ils n’en savent rien. Si le major acceptait de me prêter son uniforme, nous sommes sensiblement de la même taille… »
En souriant, le major britannique se lève et commence à se défaire de son ceinturon et de son baudrier. Un énorme colley qui somnolait sous la table se dresse et s’étire avec grâce.
« Quiet, « Glasgow », ordonne le major. Le berger écossais se recouche.
Le capitaine Leblond est embarrassé, mais maintenant il manque d’arguments, d’autant que Corta a engagé en anglais un conciliabule avec l’un des capitaines qui lui aussi, est à peu près de sa taille. Déplanté, comme Corta, parle l’anglais à la perfection. Ils peu-vent sans peine, sur ce point, mystifier n’importe qui.
« Et les hommes que vous comptez emmener ? interroge capitaine Leblond.
Je dispose des équipages de quatorze jeeps. Les hommes n’auront qu’à découdre le badge « France »
des manches de leurs vareuses. À ce détail près, leur uniforme est entièrement britannique. La plupart
Weitere Kostenlose Bücher