Qui ose vaincra
sourire ne s’efface pas sur le visage de Boutinot. En massant ses jointures endolories, il déclare : « Ah ! bon ! Rauchen verboten ! » (Il prononce : Rochaine verbotaine.)
Il ajoute entre ses dents : « Toi, mon pote, tu es « tapissé »… Si ça tourne au sirop pour nous, il va t’arriver des méchantes bricoles.
— Ça suffit, intervient le sous-lieutenant. Arrête de les exciter. »
Une Volkswagen militaire dévale la rue et freine à cinq mètres de la jeep. Un officier en descend, le chauffeur fait demi-tour et bloque les roues de son véhicule.
L’officier est grand, taillé à coups de serpe, le type de l’Aryen adulé des nazis. Il semble sortir de l’atelier d’Arno Breker. Il est tellement conscient de la perfection de son personnage qu’il en atténue la virilité manifeste en adoptant une attitude nonchalante et affectée. Il parle un français parfait, sans le moindre accent.
« Je suis le capitaine Edelring, médecin de ce bataillon. Le colonel Hartël qui commande l’unité m’a chargé de vous interroger.
— Sous-lieutenant Alain Le Bobinnec, 2 e régiment de chasseurs parachutistes. Heureux de vous voir, et croyez-moi, je suis sincère. Ne pourriez-vous dire à ces hommes de relever leurs armes ? Nous ne sommes pas venus dans l’intention d’attaquer à quatre un bataillon de la division Das Reich. »
Sur un ordre bref, les automates casqués regagnent leurs abris.
« Montez avec moi, lieutenant, ajoute le médecin-capitaine, et que vos hommes suivent. »
Les deux véhicules s’arrêtent sur la place de Saint-Pierre-le-Moûtier. Elle est noire de soldats ; les habitants par contre se tiennent prudemment terrés dans leurs demeures.
« Nous avons fait ouvrir une sorte de café-restaurant qui sert de mess aux officiers, explique le médecin. Nous allons nous y installer. Que vos hommes nous attendent. Je leur laisse leurs armes, je ne pense pas qu’ils soient assez crétins pour chercher à en faire usage.
— Vous avez entendu ?
Vous restez là ! » transmet Le Bobinnec à Lucas et Bodard qui, ayant constaté qu’un pneu de la jeep était presque à plat, se mettent à changer la roue à une vitesse surprenante, avec une dextérité qu’admirent en connaisseurs plusieurs groupes d’Allemands.
« Bien, lieutenant, je vous écoute, déclare posément Edelring, dès que les deux hommes se sont installés à une table à l’écart.
« Je suppose que vous avez des confidences particulièrement essentielles à me transmettre pour avoir pris le risque d’être venu jusqu’à nous.
— Ma mission est humanitaire, capitaine. Mais ne pourrions-nous pas l’exposer directement au commandant de votre unité ? Ça m’éviterait d’avoir à me répéter.
— Vous n’aurez pas à vous répéter : le colonel Hartël refuse de vous recevoir, car votre grade lui paraît trop léger. Par contre, je lui transmettrai fidèlement vos doléances et je vous rapporterai sa réponse. Il a établi son quartier général à deux pas, de l’autre côté de la place.
— Comme vous voulez, concède Le Bobinnec. Vous n’ignorez pas, je suppose, la situation dans laquelle vous vous trouvez. Votre effectif est très faible par rapport aux deux corps d’armée qui se resserrent sur vous.
— Le colonel Hartël envisage une capitulation, mais il ne rendra les armes qu’aux Américains ou aux Anglais. Il ne considère pas la France comme une nation belligérante. Il ne reconnaît pas vos unités, il ne fait du reste dans cette attitude qu’entériner celle de votre seul gouvernement légal.
— C’est un point de vue. Inutile de préciser que je ne le partage en rien.
— Je crains que votre opinion soit et demeure secondaire. Puis-je vous demander si vous nous venez du nord ou du sud ?
— Du nord, capitaine, du nord. Le 2 e S.A.S., malgré la nationalité des hommes qui le composent, est une unité britannique. Nous dépendons du général Mac Leod.
« Ce n’est pas trahir un secret militaire que de vous informer que plusieurs divisions blindées américaines ont passé la Loire la nuit dernière et s’avancent sur vous, ment effrontément Le Bobinnec. Elles sont renforcées par les quatre bataillons de parachutistes anglais auquel le nôtre est rattaché.
— Dans ce cas, tout va bien. L’un de vos hommes n’a qu’à repartir prévenir les responsables de ces unités que nous ne combattrons pas dans la mesure où un officier général des armées de Grande-Bretagne ou
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