Qui ose vaincra
véhicules. Il semble qu’une force considérable patrouille en rotation autour de Saint-Pierre.
Le Bobinnec est fortement surpris, mais vite il réalise. Ce sont des jeeps qui roulent en seconde, rétrogradent en première, repassent la seconde. Vraisemblablement elles se croisent ; la moitié du contingent doit suivre la périphérie dans un sens, l’autre moitié dans le sens opposé.
Lucas et Bodard rejoignent le sous-lieutenant.
« Vous croyez que ce sont les Anglais, mon lieutenant ? interroge Lucas.
— Évidemment !
Churchill et Montgomery. Et autour de la ville, la Garde Ecossaise. Dans une minute, on va entendre les binious, tout va bien ! » raille, caustique et amer, Le Bobinnec.
Des phares apparaissent au bout de l’artère principale. Deux motos allemandes précèdent une jeep, deux autres la suivent.
Le Bobinnec se demande si son cœur ne va pas éclater. Il serre les poings, ses ongles s’enfoncent dans ses paumes moites. Des gouttes de sueur perlent sur ses tempes.
Lorsque dans la pénombre il découvre les passagers de la jeep, c’est un tout autre sentiment qui l’envahit.
Une réaction inattendue chasse son angoisse, pour faire place à une paniquante envie de fou rire.
Déplanté vient de s’extirper de la jeep. Dans une auguste attitude, il s’avance, tenant au poignet gauche la laisse d’acier du colley, qui, à ses côtés, évolue d’allure souveraine. Le coude du pseudo-major est soudé à son buste, retenant une cravache de jonc. À
cinquante centimètres derrière lui, Corta suit, lui aussi impeccable dans son uniforme de capitaine de Sa Majesté. Puis viennent deux parachutistes qui ont adopté le rythme lent des soldats anglais. Déplanté s’arrête devant le colonel, le salue. Corta l’imite, tandis que les deux parachutistes font claquer leurs bottes sur le sol à deux reprises, amenant leurs cuisses à la perpendiculaire de leurs bustes, avant de demeurer figés, jambes écartées, bras gauche le long du corps, bras droit replié sur le ceinturon. Le Bobinnec, Lucas et Bodard n’osent pas échanger le moindre regard. Ils se sentent à la limite de l’incontrôlable crise d’hilarité. Le Bobinnec pense que ses camarades en font un peu trop. Il se trompe lourdement. Les S.S. se montrent convaincus par la démonstration. La parodie de Déplanté leur apporte exactement ce qu’ils souhaitaient. Le protocole de reddition se déroule selon un rite théâtral qui Hatte et apaise ces hommes qui envisageaient, quelques instants plus tôt, le massacre de milliers de civils. Le colonel Hartël paraît tellement satisfait de faire devant ses officiers l’étalage de sa connaissance parfaite de la langue anglaise, que Le Bobinnec se demande si ce fait n’a pas pesé dans l’acharnement qu’il a mis à ne vouloir capituler que face aux Anglo-Saxons. Les modalités concernant la capitulation se traitent très rapidement. Il est convenu que le bataillon allemand déposera ses armes aux portes de la ville, et que les soldats se formeront en une colonne de six groupes qui gagnera Nevers dans la nuit, escortée par les jeeps des faux Anglais.
À l’aube, c’est une troupe désarmée, harassée par une marche de vingt-cinq kilomètres, qui s’apercevra de la duperie.
Pour le glorieux bataillon de la division S.S. Reich, aucune réaction n’est plus possible.
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Sennecey-le-grand, 4
septembre 1944. Une fois encore j’emprunte le texte du sous-lieutenant Henri
Corta qui, en quelques lignes, a campé admirablement la personnalité de deux
officiers qui étaient ses amis : les capitaines Boissonas et Guillaume
Combaud de Roquebrune. Deux noms aussitôt surgissent, liés à la gloire de
Sennecey-le-Grand : le capitaine Boissonas et le capitaine de Roquebrune.
« Le capitaine
Boissonas est grand, maigre, d’une finesse étonnante. Sa voix légère, presque
enfantine, montre une perpétuelle bonne humeur. Son regard franc et clair exprime
la bonté. Son visage est couturé et boursouflé. Ses mains squelettiques et
déformées font peine à voir. Deux ans plus tôt, partant en mission de B.C.R.A.,
son avion capota au bout de la piste de décollage et prit feu. Boissonas fut
affreusement brûlé à la figure, aux mains et aux membres. Il ne se remettra
jamais complètement de ses brûlures.
— Faisant
partie du 2 e R.C.P., il risqua un saut d’entraînement deux mois
avant le débarquement et se cassa la cuisse. À peine rétabli, il tournait
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