Qui ose vaincra
d’entre eux parlent parfaitement l’anglais.
— Ça expose dangereusement la vie d’une soixantaine des nôtres.
— Pas forcément, mon capitaine. Je laisserai les équipages sur la périphérie de Saint-Pierre ; les jeeps tourneront autour de la ville dans laquelle je pénétrerai avec Corta et deux de mes parachutistes.
— C’est de la folie.
En outre, c’est contre toute règle logique militaire. Et pourtant, je suis obligé de céder.
« C’est bon, Déplanté, faites pour le mieux, bonne chance ! Si vous échouez, il est vraisemblable que je répondrai de ma faiblesse devant un conseil de guerre.
— Si j’échoue, je risque, moi, de répondre de ma témérité devant une autorité foutrement supérieure !
— En tout cas, ça ne sera jamais l’idée que je me fais du devoir d’un soldat », maugrée le capitaine Leblond qui quitte la salle après avoir salué ses hommes et ses invités.
Quelques jours seulement avant sa mort héroïque, à Bourgoin qui lui reprochait pour la centième fois son goût macabre pour l’humour noir, Roger de La Grandière avait répondu : « J’admets que notre combat est une tragédie, ce n’est pas une raison pour que ses acteurs agissent en tragédiens. »
En fait, cette boutade reflétait l’état d’esprit qui, depuis leur création, régnait au sein des S.A.S.
Émules modernes de leurs aînés qui marchaient à la mort en casoar et gants blancs, les parachutistes de la France libre accomplirent la plupart de leurs périlleuses missions avec une joviale désinvolture. Ils savaient aller au-devant des pires situations, empreints d’un étrange humour qui faisait partie de leurs armes.
Précisément, en cet après-midi du 9 septembre, le bluff colossal duquel va dépendre leurs vies, et celles de milliers d’innocents est préparé dans une bonne humeur surprenante, avec un esprit de collégiens qui mettent au point une farce à leur professeur.
Dans la chambre du major anglais, Déplanté et Gorta endossent les uniformes tout en se contemplant, admiratifs, devant une glace.
Déplanté n’oublie aucun des accessoires qui composent la caricature type de l’officier britannique de carrière : badine sous le bras, gants, etc. Il adopte une rigidité dans ses mouvements, s’exprime avec un accent oxfordien digne des officiers de la gentry et de leurs stages légendaires dans les Horse Guards. En pan de chemise et caleçon, le major et le capitaine anglais se tordent de rire devant la perfection grossière de l’imitation. Henri Déplanté arrive même à parodier le léger bégaiement mondain qui est, dans le cercle militaire londonien, considéré comme le comble d’une snob distinction.
Plus réservé, Henri Corta se confine dans le rôle de officier béat d’admiration devant un chef prestigieux. Déplanté s’adresse au major : — Puis-je vous demander encore une chose, monsieur ? Me con fierez-vous Glasgow, votre chien, pour m’accompagner ?
— Bien entendu, capitaine, mais faites l’impossible pour qu’il ne soit pas fusillé. S’ils s’aperçoivent de sa cupidité, expliquez-leur qu’il n’est pas juif, mais simplement écossais. »
À
Saint-Pierre-le-Moûtier, il est près de 20 heures et Alain Le Bobinnec commence à trouver l’attente pesante. En compagnie de Lucas et Bodard il tourne en rond sur la place depuis 4 heures de l’après-midi. Les parachutistes français n’ont plus de cigarettes, se refusent à en demander aux Allemands. Edelring rejoint le trio :
Vos amis anglais n’ont pas l’air de s’agiter beaucoup, fait-il remarquer. De toute manière, le colonel vient de m’aviser que votre statut ne change pas jusqu'à nouvel ordre. En conséquence, si vous voulez me suivre et partager à nouveau notre repas… » À 20 h 30, le dîner des officiers est presque terminé. Casqué, botté, sanglé dans un imperméable qui lui descend jusqu’aux chevilles, un motocycliste pénètre dans la salle à manger, s’immobilise à un mètre du colonel, dans un claquement de talons.
À la table voisine, Le Bobinnec ne comprend pas le sens de ses paroles, mais très rapidement Edelring en traduit l’essentiel.
« Il semble que vos Alliés soient arrivés. Des éléments motorisés tournent autour de la ville… »
Délaissant la fin du repas, tous les officiers suivent le colonel Hartël qui sort précipitamment et se dirige vers le centre de la place.
Effectivement on perçoit le grondement sourd et continu de
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