Qui ose vaincra
songe Bergé, elle est pire. »
Les premières paroles de
l’infirmière en chef tombent comme un glaive :
« Jeune homme, qui
que vous soyez, vous êtes un imbécile
— Oui, madame, balbutie
bêtemènt Bergé. Je veux dire, je ne vois pas…
— Au cas où vous l’ignoreriez,
monsieur ; l’Angleterre est en guerre contre nos occupants. Ma nationalité
et mon nom suffiraient à me faire interner. Ici je suis M me Lucas.
Dieu soit loué, la collaboratrice à laquelle vous vous êtes adressé est
discrète. Bref, au fait, que puis-je pour vous ?
— Je suis un ami de
votre fille Éliane, madame, un grand ami. »
Soupçonneuse et glaciale,
Lady Mac-Douglas toise Bergé :
« Cela me surprend,
mais admettons… »
L’affront pique le
capitaine qui retrouve partiellement ses moyens :
« Je souhaiterais, madame,
que cet entretien se poursuive sur un ton plus cordial. En fait, entre autres
choses, j’étais venu vous demander la main d’Éliane. Nous serions mariés aujourd’hui
si elle n’avait tenu à respecter la tradition, à obtenir votre consentement.
— Si c’est une
plaisanterie, elle est d’un goût douteux, vous en conviendrez. »
Bergé sort de son
portefeuille une photo qui le représente dans Pall Mall au bras d’Éliane. Tous
deux sont en uniforme. Lady Mac-Douglas contemple l’image ; l’émotion fait
vite place à l’étonnement. À son tour elle éprouve de la difficulté à trouver
ses mots.
« Mais cette photo
a été prise à Londres ?
— C’est exact, il y
a une quinzaine de jours, madame.
— C’est incroyable !
Par quel miracle…
— Je suis le
capitaine Bergé des Forces françaises libres et j’ai été parachuté à la tête d’un
petit commando il y a quatre jours en Bretagne. Je dois regagner l’Angleterre
sous peu.
— Mon Dieu, capitaine,
excusez mon accueil… » Dans les jours qui suivirent, Bergé, sous la
direction de Lady Mac-Douglas, contacte toutes les relations sûres de sa future
belle-mère. Plusieurs personnalités acceptent d’entrer dans la lutte
clandestine, de recevoir des consignes de Londres, de recruter des agents. Un
des premiers réseaux de Résistance officielle vient de naître.
Bergé, hélas ! ne
devait revoir la mère d’Éliane qu’après la guerre, lorsque miraculeusement elle
revint de déportation. La plupart des membres du réseau connurent le même sort,
mais n’eurent pas la chance de survivre.
5
JOËL LE TAC a traversé
la Bretagne, du sud au nord, en empruntant une série de trains omnibus. Arrivé
à la tombée du jour à Brest, il a marché une partie de la nuit, gagnant à pied
Saint-Pabu où il savait trouver sa mère dans la maison familiale. Il n’a
éprouvé aucune difficulté à tisser une toile de sympathisants, M me Le
Tac et son fils connaissent les portes auxquelles ils pouvaient frapper en
toute quiétude, et ce n’est que l’avant-veille du rendez-vous de Saint-Gilles-Croix-de-Vie
que Joêl quitta le Finistère.
Ils ne sont que trois à
se retrouver au crépuscule du 30 mars sur le sable de la longue plage vendéénne.
Petitlaurent et Joseph Renault sont absents. Néanmoins Bergé éprouve une double
satisfaction : d’abord la joie de retrouver Le Tac et Forman, ensuite le
fait de constater que tous trois sont parvenus sans difficulté au point exact
du contact. Les lieux sont déserts et, logiquement, le sous-marin devrait lui
aussi les trouver aisèment.
Hélas ! la nuit se
passera en attente fébrile et dans la fraîcheur de l’aube, les trois hommes, amèrement
déçus, décident une fois encore de se séparer pour ne se retrouver que le 4
avril, date du second rendez-vous.
Le Tac prend une chambre
à St-Gilles-Croix-de-Vie. Il prétend être malade en convalescence, dort, bouquine,
sort le moins possible. Il intrigue un peu, s’efforce de rassurer ses logeurs
par des bavardages anodins. Il y a peu d’Allemands dans la région, et la
gendarmerie ne se montre pas trop curieuse.
Bergé et Forman ont
gagné Les Sables-d’Olonne où chacun de son côté ils sont inscrits dans de
modestes hôtels sous l’étiquette passe-partout de « représentant de
commerce ».
C’est sans incident
notable qu’ils se retrouvent au second rendez-vous. Ils sont loin d’avoir l’optimisme
de la semaine précédente. Un vent violent souffle du large, de longs rouleaux
viennent se briser sur le rivage, charriant des paquets d’algues et
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