Qui ose vaincra
Derrière lui, Le Tac, numéro deux, a l’impression de cogner du talon le casque de son chef, tellement il a hâté son mouvement. Les autres ont suivi à la même cadence.
Les premiers parachutistes alliés à sauter en opération viennent d’être largués au-dessus de l’Europe occupée.
4
Sans le moindre incident,
les cinq hommes ont atterri dans un champ labouré. Ils se regroupent en silence,
se débarrassent de leurs combinaisons qu’ils enterrent avec leurs parachutes. Ensuite
ils se rassemblent autour de Bergé, attendant les instructions.
« On ne bouge pas
avant l’aube, les gars, annonce-t-il. J’ignore absolument où nous nous trouvons.
Nous avons été largués au hasard, les Anglais m’avaient prévenu. Allons nous
dissimuler dans ce petit bois. À l’aube nous aviserons. »
Les cinq hommes trouvent
des abris dans des buissons. Le Tac s’installe le plus confortablement qu’il le
peut et replonge dans son sommeil.
Il y a une bonne heure
que le jour s’est levé. Les parachutistes n’osent pas quitter leurs abris. Bergé
scrute le panorama à la jumelle. Il ne distingue rien, ni route ni chemin, pas
la moindre habitation. À 8 heures il se décide.
« Je pars en
reconnaissance, vous ne bougez sous aucun prétexte. »
Le capitaine est vêtu d’un
costume croisé bleu, il porte une sobre cravate rayée, il se coiffe d’un béret
noir. Les Anglais ont insisté pour qu’ils emportent tous un béret basque – d’après
eux c’est la meilleure façon de passer inaperçus en France…
Bergé marche à travers
champs. Il pense qu’on aurait dû les parachuter dans des vêtements de paysans, il
faudra en parler pour les opérations futures. Le capitaine trouve un chemin qu’il
emprunte et, après cinq minutes de marche, il aperçoit une ferme. À peine à
cinquante mètres de lui, un homme bêche la terre. Bergé n’hésite pas, il ne
peut que lui faire confiance. L’homme se relève, s’accoude des deux mains sur
le manche de son outil, dévisage, intrigué, l’insolite arrivant :
« Bonjour, monsieur,
lance Bergé d’un ton qu’il espère jovial.
— Bonjour, répond
le vieux, méfiant.
— On travaille de
bonne heure, à ce que je vois.
— Dame, faut bien, on
risque toujours des gelées de ce temps.
— On va vers le
printemps, le plus dur est fait, pas vrai. »
Le vieux acquiesce.
« Dame, pour sûr. »
« Ça peut durer des
heures », songe Bergé. Le vieux reprend son outil et poursuit son travail.
Un jeune et solide gaillard sort de la ferme et se dirige vers eux à grands pas,
il doit avoir entre dix-huit et vingt ans. Il s’arrête à leur hauteur ; ignorant
le vieux, il interroge Bergé.
« On peut quelque
chose pour vous ?
— Puisque vous me
le demandez, je ne refuserais pas un casse-croûte et un verre de cidre ; je
peux payer.
— C’est pas une
auberge, chez nous ! Je veux dire : on paie pas. Mais si vous avez faim,
on peut vous donner un morceau de fromage. Suivez-moi. »
L’intérieur de la ferme
sent bon. Une odeur indéfinissable, une odeur qu’il avait oubliée. Bergé
accepte un siège, le jeune homme dispose devant lui une boule de pain et un
fromage frais. Il apporte ensuite une bouteille de cidre et deux verres.
« Vous n’êtes pas d’ici ?
questionne-t-il.
— Non, admet Bergé,
je suis du Gers. Vous connaissez ?
— Dame, non ! C’est
loin ça. En dessous de la Loire, à ce que je pense.
— Oui, en dessous
de la Loire. Et vous vous demandez ce que je fais par ici ce matin ?
— C’est-à-dire, c’est
pas mes affaires, mais si vous aviez fait un mauvais coup, faudrait pas compter
sur nous, on est honnêtes.
— Je suis un
prisonnier évadé, ment Bergé. Je vous fais confiance parce que j’ai besoin d’aide.
— Ben, ça, alors !
Sûr que le père va essayer de vous aider, vu qu’il s’est évadé en 17 lui-même. Ben,
ça alors ! »
Les fermiers s’appellent
Rénaux. Du seuil, François Rénaux a fait signe à son père de les rejoindre. Le
vieux n’a pas hésité :
« François, il faut
prévenir le curé d’Elven, décide-t-il. Il aidera le monsieur. Une chose comme
ça, c’est le curé que ça regarde. Va le chercher, dis-lui simplement que j’ai
besoin de lui. »
Bergé n’ose pas
questionner, mais il a enregistré : Elven. La carte de la région cent fois
consultée est ancrée dans son esprit. Elven se trouve à quelques kilomètres au
nord de
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