Qui ose vaincra
une
multitude de saletés. Le ciel est bas, l’horizon bouché, le sable poudreux de
la plage est imprégné par le crachin qui n’a cessé de tomber depuis l’aube. Après
une heure d’attente, les trois hommes sont trempés et grelottants. Tout espoir
les a abandonnés, la mer grisâtre ne s’apaise pas.
À 4 heures du matin, ils
sont sur le point de renoncer, lorsque Le Tac perçoit un éclair lumineux à une
centaine de mètres sur leur droite. Les regards de Bergé et Forman étaient
portés vers le sens opposé. Tranquillement Le Tac leur touche l’épaule et
chuchote :
« [DG1] Il y a un signal sur la plage, mon
capitaine. Pas très loin.
— Tu as révé, Joël. »
Toujours aussi sûr de
lui, Le Tac réplique :
« Non, mon
capitaine, j’ai parfaitement distingué un éclair de lampe électrique. Il faut
répondre.
— En aucun cas !
Ils devaient se signaler de la mer. Si ça vient de la plage, ça ne peut pas
être eux.
— Laissez-moi y
aller, mon capitaine. De toute façon, il faut savoir. Si ça tourne mal, taillez-vous. »
Bergé hésite. Mais il
est obligé d’admettre que son sergent a raison.
« C’est bon, vas-y ! »
Le Tac se déchausse et
arme son pistolet, il avance comme un chat sur la sable humide. Un nouvel
éclair furtif le guide : il n’y a maintenant aucun doute, un homme s’avance
vers lui. Le Tac se couche et observe, attentif.
Bientôt, il perçoit une
ombre. L’homme est seul. Le Tac passe son colt dans sa ceinture, laisse
progresser l’ombre. En trois bonds silencieux il la contourne, puis s’élance et
plaque l’homme au sol, l’immobilisant d’une clé au bras. Avec un sang-froid
singulier, l’homme parvient à articuler :
« Lâchez-moi, Joêl,
vous allez me casser le bras. »
Ebahi, Le Taclâche. L’homme
se relève et, dans une attitude théâtrale, il époussette son uniforme.
« Appleyard ! reconnaît
Le Tac. Vous ne pouvez imaginer à quel point je suis heureux de vous voir. »
Dans un réflexe, Le Tac
a adopté, lui aussi, le ton d’indifférence flegmatique.
« Vous êtes tous là ?
interroge Appleyard.
— Trois seulement :
le capitaine Bergé, Forman et moi.
— Les autres ?
— Sans nouvelles. À
propos, comment m’avez-vous reconnu ?
— Je ne vous ai pas
reconnu, c’est une question de logique. Les Allemands auraient braqué un
projecteur, ça ne pouvait être que l’un de vous pour m’attaquer par-derrière
avec ces procédés de voyou que je me suis efforcé de vous faire inculquer. »
Ils rejoignent Bergé et
Forman qui, eux, laissent éclater leur enthousiasme. Formanembrasse l’officier
anglais, Bergé lui assène une énorme tape sur les épaules. Appleyard ne semble
pas apprécier outre mesure la chaleur de ces effusions, il y met un terme, explique
que le temps est compté, que le Tigris , le sous-marin qui les attend, se
trouve à plus de deux milles au large, qu’ils ne disposent pour le rejoindre
que d’un frêle canoë.
Les quatre hommes
tentent d’embarquer. Chaque fois le canoë se retourne, balayé par les énormes
rouleaux qui forment une barre infranchissable. Joël Le Tac, le plus marin des
quatre, comprend que le seul procédé qui leur permettrait de franchir les
premières vagues comporte le sacrifice de l’un d’eux qui maintiendrait l’embarcation
face au large. Il a du mal à convaincre ses compagnons, mais une nouvelle tentative
infructueuse fléchit bergé.
Le Tac se jette à l’eau,
lutte contre les remoux furieux. Plus léger et maintenu à l’arrière, le canoë
franchit la barre. Le Tac a simplement déclaré :
« Contactez-moi à
Paris chez mon frère, 6, rue Gît-le-Cœur. »
Dans le mois qui suit, livré
à lui-même, sans instructions, sans la moindre chance de contacter Londres, Joël
Le Tac va faire preuve d’un fantastique esprit d’initiative, basant le moindre
de ses actes sur la certitude qu’un jour prochain il parvenient à rejoindre la
France libre.
Accompagné par son frère
Yves, il regagne Vannes, récupère les explosifs chez François Renaux. Plusieurs
nuits de suite, les deux frères tentent une embuscade dans le fol espoir de
voir arriver le car fantôme (Joël n’avait jamais été convaincu par les rapports
pessimistes de Petitlaurent et de Joseph Renault. Leur absence au rendez-vous
de Vendée n’avait fait que confirmer ses soupçons.) Pourtant, malgré son acharnement
de Breton têtu, Joël dut se
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