Qui ose vaincra
Vannes. La chance semble être de leur côté.
Il faut moins d’une
heure à François pour revenir accompagné par l’abbé Jarnault. En les voyant
remonter le chemin sur leurs vélos grinçants, Bergé songe qu’il va disposer de
quelques minutes seulement pour juger un homme. L’abbé Jarnault est petit, maigre,
sec et osseux. Il porte une soutane délavée, usée et rapiécée ; il en a
relevé les pans qui sont maintenus par deux grosses épingles, cela, semble-t-il
pour un double usage : d’abord pédaler plus aisément, ensuite essuyer de
grosses lunettes de myope à monture d’acier.
Bergé prend sa décision
instantanément. À qui faire confiance plus qu’à ces trois-là ? Ils
viennent de prouver leur solidarité, d’autre part, il ne peut pas s’enferrer
dans son roman de prisonnier évadé. Dans leur buisson, les autres ne vont pas
attendre indéfiniment, il est même vraisemblable qu’ils commencent à s’inquiéter.
Lorsque, souriant, le
prêtre demande : « Ainsi, monsieur, vous vous êtes évadé d’Allemagne ? »
Bergé répond :
« Non, monsieur l’abbé,
j’ai menti par prudence. »
Les trois hommes le
dévisagent, inquiets et curieux. Bergé poursuit :
« J’arrive d’Angleterre,
monsieur l’abbé. J’ai été parachuté cette nuit avec quatre compagnons. Nous
avons une mission à accomplir dans la région. Je suis un officier des Forces
françaises libres.
— Vous ne seriez
pas plutôt évadé d’un asile ? questionne le vieux.
— Je peux prouver
ce que j’avance, mes hommes se terrent dans un bois à quelques centaines de
mètres.
— J’ai entendu un
avion qui volait très bas cette nuit, ça m’a réveillé, interrompt François.
— C’est pas Dieu
possible ! Vous seriez des soldats à de Gaulle, alors ! s’exclame l’abbé.
— Exactement, monsieur
l’abbé, et tous les trois vous tenez maintenant notre destin entre vos mains.
— Qu’est-ce qu’on
peut faire pour vous ? demande le vieux.
— Nous cacher
vingt-quatre ou quarante-huit heures, le temps de nous retourner.
— Il y a une remise
au bout du grand champ, personne n’y va plus jamais. Ça vous irait ?
— C’est inespéré, monsieur,
mais mon devoir m’oblige à vous dire franchement ce que vous risquez.
— Oh ! je le
sais bien ce que je risque, c’est affiché partout dans le département. Mais ma
femme est à l’hôpital de Vannes pour des mois ; quant à François, je pense
qu’il est d’accord. Les Allemands n’ont pas à faire la loi sur mes terres.
— Je vous aiderai, déclare
François sans hésiter.
— Moi, je vous
apporterai boissons et nourritures à la nuit tombée, surenchérit l’abbé. Attendez
la nuit pour faire bouger vos amis, il ne passe pas grand monde par ici, mais
on ne sait jamais. »
Depuis quarante-huit
heures, Bergé, Le Tac et Forman sont enfermés dans la remise. Petitlaurent et Joseph
Renault sont partis aux renseignements sur des vélos mis à leur disposition par
François Rénaux. Le curé vient régulièrement leur apporter du ravitaillement qu’il
se procure dans le cellier du vieux.
Petitlaurent est le
premier à rejoindre le groupe à l’aube du troisième jour. Il est porteur de
mauvaises nouvelles. D’après lui, les pilotes allemands n’empruntent plus le
car, ils couchent à la base de Vannes-Meucon.
Quelques heures plus
tard, Joseph Renault rejoint à son tour. Ses renseignements sont contradictoires,
mais tout aussi pessimistes. Pour lui, les pilotes couchent toujours à Vannes, mais
ils disposent de voitures individuelles, ce qui rend impossible toute intervention.
Bergé est sceptique, mais
un troisième témoignage vient étayer la thèse de ses collaborateurs’ : François
Rénaux, le jeune fermier, s’est lui aussi renseigné. Il a acquis la certitude
que jamais un car n’a emprunté la route Vannes-Meucon.
« C’est désespérant,
mais nous devons abandonner le premier volet de votre mission, décide Bergé. Reste
le second. Nous devons trouver des appuis sûrs dans la population. Je vais me
rendre à Paris, puis dans le Sud-Ouest. Le Tac prospectera la Bretagne, Petitlaurent
le Nord, Joseph Renault, l’Est, Forman, le Centre. J’ai réparti ces secteurs d’après
les régions que chacun de vous connaît. N’oubliez pas le rendez-vous de Vendée,
la plage de Saint-Gilles-Croix-de-Vie, dans la nuit du 30 au 31 mars. Nous
partirons ce soir dès que le jour
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