Qui ose vaincra
« L’adresse est sur la première page. Je suppose que vous aurez plus de facilité pour expédier cette lettre que mes camarades.
— Vous avez ma parole, répond Fauquet qui s’est levé et qui empoche le cahier.
— Vous n’auriez pas quelque chose à boire ? » interroge l’Allemand.
Fauquet fouille dans un sac dont il extrait un flasque de whisky. Le lieutenant le débouche et à deux reprises avale une longue gorgée.
« Vous voulez une cigarette ? » interroge Fauquet, qui immédiatement se rend compte de la puérilité de la question.
Dans un léger sourire, le lieutenant répond : « N’exagérons rien. »
Il se retourne et crie d’une voix autoritaire : « Karl… Quand vous voudrez… ». Les soldats qui composent le peloton sont disposés dans une clairière à quelques mètres. Ils sont livides. Le capitaine chargé de les commander est décomposé. Il marche derrière le condamné, le corps affaissé, les jambes frémissantes. Le lieutenant se place lui-même face au peloton. Il est droit, presque arrogant. Le capitaine hésite. Fauquet qui, de loin, assiste à la scène, craint qu’il ne s’évanouisse.
« Schnell ! » crie le lieutenant. Le capitaine semble sortir d’un cauchemar. Dans un automatisme hébété il hurle des ordres. La salve crépite. Le lieutenant tombe à genoux, puis bascule sur le flanc.
Paraissant à mille lieues de la tragédie dont il est l’acteur, le capitaine, les yeux exorbités sur un visage de cire terne, s’avance d’un pas de robot vers le supplicié. Il a extrait d’un geste nerveux son Parabellum ; il l’arme et tire presque simultanément le coup de grâce, à bout portant, contre la nuque du lieutenant. Il se relève et, de la même démarche mécanique, s’éloigne, son pistolet au poing.
Derrière lui, d’eux-mêmes, les soldats du peloton ont rompu les rangs. L’un d’eux, un adolescent, vomit debout, soutenant du bras contre un arbre son corps penché.
Une détonation claque : le capitaine vient de se tirer une balle dans la tempe.
Les corps sont enveloppés rapidement dans des linges et transportés dans l’ambulance. Le colonel S.S. après avoir d’un signe, reçu l’assentiment de Fauquet lance l’ordre de départ.
Silencieux, lugubres, accablés, les prisonniers reprennent leur lourde marche. Une voix d’homme se fait entendre ; émue, mélancolique, elle module les premières notes d’un chant d’adieu. Une seconde, puis une troisième, puis dix, puis cent, puis mille voix reprennent en chœur la mélodie.
Les voix s’amplifient. Le chant d’adieu devient un hymne agressif, saccadé et brutal. Un instant hésitante et malhabile, l’harmonie s’est trouvée, les voix et les contre-chants se sont placés. Au second couplet, la coordination de la chorale est parfaite.
Les hommes rythment leurs pas.
« Il faut reconnaître qu’ils chantent mieux que nous, remarque Robert Crœnne.
— C’est la seule arme qui leur reste, réplique Fauquet, mais bon sang, tu as raison, ils savent s’en servir. »
Leurs têtes relevées, leurs bustes droits, les Allemands ont retrouvé leur fierté et leur arrogance pour le temps d’un Requiem. Ils attaquent le troisième couplet de la poignante complainte :
« Ich hatte einen Kamaraden. »
45
L’une des sections qui
dépend de la compagnie Fournier le 8 e stick, est basée à quelques
kilomètres au sud de la Loire, à Montreuil-Bellay.
Dans les derniers jours
de septembre, les éléments allemands qui encore en nombre circulent dans la
région sont devenus à leur tour des bêtes traquées. Seuls quelques sursauts, çà
et là, sont encore dangereux, mais la plupart des parachutistes ne s’en
soucient guère et considèrent maintenant que l’ennemi est inoffensif… C’est le
cas du sergent-chef Pierre Roux et de ses hommes 8°stick.
Les parachutistes se
lamentent de la pénurie d’unités allemandes dans leur secteur, d’autant qu’à
une cinquantaine de kilomètres, du côté de Bressuire, il en reste encore de
nombreux groupes épars. Avec des véhicules, les Français pourraient rayonner, porter
à l’ennemi d’ultimes coups. Des véhicules ils n’en manquent pas. Ils ont
récupéré Volkswagen, deux Mercedes, et leur trophée est une berline Horsh, à
bord de laquelle un général cherchait à fuir. Dans le coffre, les parachutistes
ont découvert les décorations de tout un régiment : cent quarante-sept
Croix de fer.
Seulement ils
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