Qui ose vaincra
parachutistes
sont intrigués par la réaction de leur chef, mais se gardent de le laisser
paraître. Ils connaissent le sergent, savent qu’il ne parle pas en l’air et qu’il
poursuit sûrement une idée. L’officier américain, de son côté, trouve normal le
marchandage du Français. Il a le sens des affaires nettes, propre à sa nation.
« D’accord, admet-il,
établissons un barème.
— Sur la base de
cent litres par homme, réclame Roux.
— Vous êtes dur, mais
je ne veux pas marchander. C’est O. K.
— Deux cents litres
pour un sous-officier, trois cents pour un officier jusqu’au grade de major, cinq
cents pour un lieutenant-colonel, huit cents pour un colonel, une jeep en état
pour un général.
— D’accord pour
tout, sauf pour la jeep. Je propose mille litres pour un général.
— Écoutez, discute
Roux, admettez que dans un combat, vous ramassiez un général allemand, vos
chefs n’iront pas vous chercher des poux dans le crâne parce qu’une jeep aurait
été détruite par un obus antichar. Et puis, ce que j’en dis, c’est surtout pour
la forme… que des généraux on n’en trouve pas tous les jours.
— D’accord », concède
l’Américain qui tend sa main grande ouverte.
Roux fait le geste de
tendre la sienne. Au dernier moment, il la relève. « Encore un détail, précise-t-il.
Cent litres supplémentaires par Boche décoré de la Croix de fer.
— Mais vous êtes un
vrai requin, ma parole !
— Je ne suis pas
idiot, c’est tout. Je sais parfaitement que les Croix de fer se revendent chez
vous comme des louis d’or.
— O. K. »
Cette fois les mains se
serrent, et le dialogue reprend :
« Vous avez un
camion pour effectuer les va-et-vient ?
— Oui, ne vous
inquiétez pas pour ça. Du moment que nous aurons de l’essence, nous n’aurons
plus de problèmes.
— Parfait. Dans ce
cas vous envoyez un type ici au bistrot, n’importe quel jour entre 19 et 20
heures, prévenir de l’heure, et de votre arrivée dans la nuit et de la quantité
de carburant qu’il nous faudra amener.
— D’accord », conclut
Roux.
Sur le chemin du retour,
Noël cherche à satisfaire sa curiosité.
« J’ai pas très
bien compris ton acharnement à vouloir tarifer les grades, Pierre ! On
aurait pu taxer les prisonniers à deux cents litres par tête par exemple. Ils
auraient marché, et je suis sûr qu’on y aurait trouvé notre compte.
— Je veux une jeep.
— Alors, là, je
comprends encore moins. Il y a beau temps que les généraux ne battent plus le
bocage vendéen.
— J’en ai un. »
Les trois parachutistes
dévisagent leur chef, interloqués.
« Bon, alors
maintenant vas-y. Balance ce que tu as derrière la tête.
— Vous vous
souvenez du château à l’est de Thouars ?
— Bien sûr, et
après ?
— La chiée d’uniformes
d’officiers allemands qu’on a laissés sur place ? Et la cantine, au
premier ? Vous vous en souvenez de la cantine au premier ? Qu’est-ce
qu’elle contenait ?
— D’accord. Les
sapes d’un général de division, admet Noël. Tu comptes en trouver un à poil ?
— Tu as entendu
parler de Pygmalion ?
— Ça me dit quelque
chose. Il était pas parachutiste ?
— Pauvre inculte !
Je vous garantis que Friedrich, lui, en a entendu parler. »
Les trois S.A.S. comprennent
brusquement.
« Tu vas pas faire
ça ?
— Je vais me gêner.
Ils sont dégueulasses ces Américains avec leur traite des Aryens. Ils n’ont pas
la moindre moralité et, crois-moi, je vais les enfler, les faire marrons avec
une de ces joies…
— Et qui te dit que
Friedrich va marcher ?
— Ça, j’en fais mon
affaire, j’ai des arguments…
— Et nos soirées
artistiques ? je vous réciterai La Mort du loup. Pour l’instant, direction
Thouars. On va récupérer les fringues.
— C’est assez
marrant, admet Laborde, mais ça va me faire de la peine de perdre Friedrich. Je
m’y étais habitué à ce con-là. »
Friedirich von Schüttorf
était le nom de théâtre de l’un des quinze prisonniers, qui – selon une
technique semblable à celle des Américains – servait de larbin à la compagnie
parachutiste.
Sous-lieutenant d’administration,
la seule vue d’une arme le terrifiait. Il faisait partie d’un contingent de
scribouillards qui s’était rendu spontanément à Doué-la-Fontaine.
Âgé d’une cinquantaine d’années,
Friedrich devait ses galons de sous-lieutenant à
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