Qui ose vaincra
votre commandant l’admette, cède. Il va exposer la vie de centaines des siens dans un souci puéril de représailles et de haine.
— Je suis exactement dans la même situation, réplique le commandant après la traduction de l’interprète. Mes hommes vont avoir à creuser quatre tombes. Mon maquis est disséminé dans la forêt sur des dizaines de kilomètres carrés, mais la nouvelle a dû courir de bouche à oreille, et tous doivent connaître maintenant les circonstances de ces assassinats. Moi non plus, je ne peux répondre de mes hommes. » Fauquet, à l’intention de Pams, grince entre ses dents : « File sur la route.
Que les jeeps taillent la piste et prennent position dans la forêt. C’est râpé, ça va exploser »
Aiors que Pams s’apprête à exécuter l’ordre, le lieutenant rebelle qui, jusqu’alors était demeuré spetacteur, fait un pas en avant et déclare dans un français convenable : « Je pense pouvoir vous offrir une solution. » En allemand, il s’adresse longuement au colonel qui pendant son exposé, dodeline de la tête amèrement. S’adressant ensuite au commandant F.F.I., le lieutenant reprend en français : « Je suis le seul responsable de cette tentative d’évasion. Mes hommes m’ont suivi sur ordre. En outre c’est moi qui ai abattu les maquisards qui cherchaient à nous barrer le chemin. Je viens de proposer à mon chef de former, lui-même, sur place, un tribunal d’exception qui me condamnera à mort et me fera passer par les armes sur-le-champ. Je ne vous demande en échange que la vie de mes hommes, la certitude qu’ils reprendront place dans la colonne. Je pense qu’à ce prix les passions devraient pouvoir s’apaiser dans les deux camps. »
La tranquille dignité avec laquelle le jeune officier allemand vient d’offrir sa vie désarme instantanément le commandant, les F.F.I. qui l’entourent, Fauquet et l’équipage de sa jeep.
Le colonel S.S. plonge un regard interrogateur dans les yeux de l’officier de la Résistance. Celui-ci acquiesce, d’un signe de tête amer.
Le colonel s’approche de son subordonné et lui tend la main. Le lieutenant la saisit. De sa main gauche, l’officier supérieur contracte ses doigts sur l’épaule du rebelle dans un geste reconnaissant qui traduit l’estime et le respect qu’il porte à son sacrifice.
Derrière, l’un des fuyards, blessé superficiellement, pleure sans honte, le visage bouleversé, les yeux clos dans une contraction figée ; de lourdes larmes inondent ses joues.
Fauquet s’avance et, à son tour, serre vigoureusement la main du lieutenant. Pams l’imite, puis, après une hésitation, le commandant F.F.I. adopte la même attitude.
« Schnell ! » lance le colonel d’un cri dans lequel l’autorité s’étrangle. Les parachutistes regagnent la jeep. Fauquet obtient des F.F.I. qu’ils demeurent à distance. Le commandant donne l’assurance qu’il se chargera d’ensevelir les corps des deux Allemands. Sur la route, le colonel réunit six de ses officiers. En quelques mots brefs, il leur expose la situation. Une jeep est partie à hauteur des motorisés, elle revient suivie d’une ambulance de la Wehrmacht. Les deux blessés y sont installés. Alors le colonel monte sur le capot et s’adressant à ses hommes, il crie un discours d’une voix ferme.
De nombreux soldats baissent la tête, mais aucun ne semble vouloir contester la décision de leur chef. Un aumônier sort des rangs et rejoint le groupe des dissidents.
Le lieutenant sacrifié demande à Fauquet s’il possède de quoi écrire. Le parachutiste cherche dans la jeep, trouve un « exercice-book » de l’armée anglaise qui lui sert à noter les mouvements de son « squadron ». Plusieurs pages sont remplies d’une écriture serrée. L’officier français les arrache, les plie et les range dans la poche de sa chemise. Il tend ensuite le petit cahier au prisonnier, la couverture est en papier bistre, le lieutenant allemand y lit : Supplied for use in naval and military Schools
— His Majesty’s Stationery Office. Le lieutenant esquisse un pâle sourire, s’assoit sur l’aile de la jeep, dispose le cahier sur le capot, sort de sa veste un stylo et commence à écrire d’une main qui ne tremble pas.
L’Allemand semble être étranger aux scènes qui se déroulent autour de lui, s’être évadé dans un rêve qui l’a conduit auprès du destinataire de son ultime message.
Le tribunal siège debout à
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