Qui ose vaincra
l’orée de la forêt. Les sept juges sont livides. Face à eux le lieutenant se tient au garde-à-vous. D’une voix qui ne laisse percer aucune émotion, il déclare plaider coupable.
Le colonel se tourne vers ses assesseurs. L’un d’entre eux hausse les épaules, les autres baissent la tête. Au prix d’efforts visiblement considérables, le colonel déclare alors d’une voix qui se brise entre chaque syllabe : « L’accusé est reconnu coupable de rébellion aux ordres reçus et de tentative de désertion. Ayant abusé en outre de son autorité pour entraîner dans son entreprise dix hommes de sa compagnie, aucune circonstance atténuante ne peut lui être accordée. En conséquence, l’accusé est condamné à la peine de mort. Il est en droit de demander un recours en grâce. L’exécution de la sentence demeurerait alors en sursis jusqu’à la création d’un tribunal ultérieur.
— Je rejette tout recours et m’incline devant la décision du présent tribunal, articule clairement le lieutenant.
— En conséquence, la sentence devient exécutoire. L’officier prévenu ayant reconnu sa pleine responsabilité, les sous-officiers et hommes qui l’ont suivi dans sa tentative de désertion sont acquittés et relaxés. »
Se tournant vers un capitaine, le colonel ajoute :
« Veillez à ce que la sentence soit exécutée dans les plus brefs délais. Formez un peloton d’exécution et prenez-en le commandement. »
L’échine voûtée, le capitaine se dirige vers les rangs. Il désigne les douze premiers soldats de la colonne auxquels il ordonne de le suivre.
Dans un réflexe immédiat, les hommes jettent à terre les fusils qu’ils portent.
« Je vous comprends, leur dit calmement le capitaine. Mais n’envenimez pas la situation. J’éprouve le même écœurement que vous, mais notre devoir est d’obéir. »
Les hommes restent inébranlables, n’ont pas le moindre mouvement vers les armes qui traînent à leurs pieds.
Le lieutenant condamné les rejoint. Seule, une légère pâleur trahit son émotion. Il enlace affectueusement l’un des soldats, laissant sa main reposer sur son épaule, et lui demande : « Quel est ton nom, mon vieux ? Je veux dire ton prénom ?
— Walther, herr Leutnant ! » répond l’homme. Sans le lâcher, le lieutenant, d’un même geste de son autre bras, enlace un second soldat. « Et toi ?
— Henryk, herr Leutnant !
—Walther, Henryk ! »
L’officier tourne sa tête vers l’un puis vers l’autre, presse leurs épaules en les nommant, puis les entraîne doucement à parcourir quelques pas lents en leur confessant sur un ton paternel :
« Il faut que vous obéissiez et que vous convainquiez vos camarades. Si vous refusez d’exécuter les ordres le colonel va être contraint de me laisser aux mains des terroristes.
Vous savez ce que ça signifierait pour moi. Alors, pas de faiblesse. C’est un service que je vous demande, comprenez-le. »
Les hommes baissent la tête et rejoignent la colonne, le lieutenant les suit. Ils expliquent à leurs compagnons la supplique de l’officier. En silence, les Allemands ramassent leurs armes et se détachent des rangs. Le lieutenant serre la main d’un troisième soldat. À lui il demande son prénom :
« Franz, herr Leutnant ! »
Neuf fois encore la scène se répète :
« Emil, herr Leutnant…
—Paul, herr Leutnant…
—Ernst, herr Leutnant… »
Le condamné arrive à hauteur du capitaine chargé de commander l’exécution. Les deux officiers ne se connaissent pas, n’appartiennent pas à la même unité. Le capitaine serre à son tour la main tendue et déclare simplement : « Karl, herr Leutnant. »
Un douloureux éclair de compréhension passe dans les yeux du condamné. L’aumônier s’avance : « Mon fils… commence-t-il.
— Laissez, mon père, abrégeons la cérémonie. Donnez-moi l’absolution, je vous donne ma parole que ça ne vous engage pas outre mesure. »
Le prêtre militaire marmonne des litanies, fait les gestes rituels, puis détache un crucifix qui pend sur son uniforme, retenu par une chaînette, et saisissant la main du jeune officier, il l’y dépose, refermant lui-même de ses larges paumes les doigts du condamné sur le symbole sacré.
Le lieutenant se retourne, fait trois pas vers la jeep dans laquelle Fauquet et ses hommes, se gardant d’intervenir, sont demeurés spectateurs. Le lieutenant s’adresse à l’officier parachutiste, lui tendant le petit cahier :
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