Qui ose vaincra
été chargés d’encadrer les éléments de
l’armée Vlassov récemment arrivés en Bretagne : six cents Ukrainiens et
huit cents Géorgiens, tous prisonniers soviétiques ralliés aux nazis.
Hass les considère comme
des hommes préhistoriques, des traîtres, des tueurs, des bêtes. Il peste contre
ce commandement. Les cent cinquante Cosaques dont il a la responsabilité
subissent son humeur hostile sans rien comprendre. Ils se contentent de monter
à cheval, de piller les fermes, de violer et d’assassiner le cas échéant. Ce n’est
pas le principe qui choque le vieux sous-lieutenant. Après tout c’est la guerre
et il en a vu d’autres. Ce qui fait grincer sa susceptibilité d’officier de carrière
sorti du rang, c’est que les Cosaques le font sans ordres. Ils improvisent, et
ses ordres à lui sont de fermer les yeux. Les cavaliers russes sont précieux à
l’état-major qui les couve, sachant qu’un jour ils pourront servir de boucliers
sacrifiés.
« C’est bon, arrête
de gueuler, annonce Hass à Aloïs. On vient, mais je te préviens : si tu as
rêvé, je te donne à bouffer à mes Russes. » Hass raccroche et hurle :
« Rassemblement ! »
Malgré le volume et le
poids de leurs armes et de leurs explosifs, les parachutistes du stick Marienne
ont touché le sol en souplesse et en silence. Du Stirling ils avaient
sauté en grappe. Ils atterrissent à quelques mètres seulement les uns des
autres.
Avant le départ ils
avaient tous fait le même serment : « Notre premier geste sera d’embrasser
la terre de France. » Dans l’action, ils l’oublient. Ils sont pris par le
mécanisme cent fois répété à l’entraînement : d’abord enterrer leurs
parachutes pour faire disparaître toute trace de leur passage. Ils se
regroupent ensuite sans peine à l’aide de minuscules boules lumineuses. Marienne
a immédiatement compris qu’ils étaient victimes d’une erreur de largage. Il
compte ses hommes et chuchote :
« Le container ? »
Personne n’a aperçu le
container. Les Anglais n’ont pas dû le larguer assez vite. C’est la catastrophe.
Il contient soixante-quinze millions en monnaie de la Libération et le matériel
sanitaire. Mais surtout si les Allemands le découvrent, il trahira non
seulement la présence de parachutistes, mais également leurs intentions et l’envergure
de leur opération.
« Il faut le
retrouver, déclare Marienne. Krysik et Raufast avec moi. Les radios et Bouétard,
ne bougez pas d’ici. Attendez-nous. »
Les trois hommes s’éloignent
en direction d’un bois dont on aperçoit la lisière ; les quatre autres se
disposent en carré à deux mètres de distance. Ils s’allongent, attentifs au
moindre mouvement.
C’est Bouétard qui le
premier perçoit la cavalcade. Les quatre parachutistes arment leurs
mitraillettes et leurs revolvers, préparent leurs grenades. Ils s’aperçoivent
vite que les cavaliers arrivent de tous les côtés, les encerclent. Leurs voix
leur parviennent distinctement.
« Ce n’est pas de l’allemand,
assure Etrich, ça doit être du breton.
— Ne déconne pas, ce
sont des soldats ! Et il n’y a pas, que je sache, d’armée bretonne. »
D’un bond, Jourdan
rejoint Etrich. Il a sauté comme un félin, mais il a été aperçu. Une rafale
déchire la terre à quelques centimètres de ses pieds. Instantanément ils
ripostent tous les quatre. « Nous sommes faits comme des rats, hurle Sauvé.
Les postes ! »
Les parachutistes
retournent leurs armes vers les postes et les criblent de balles. Pour obtenir
un angle de tir plus précis, Bouétard s’est levé. Indifférent à l’ennemi qui l’entoure,
il ne pense qu’à détruire les émetteurs. Il est atteint d’une rafale dans les
cuisses, d’une balle dans l’épaule ; il tombe sur le dos. Les autres
continuent à interdire toute approche pendant près d’une demi-heure. Ils tirent
jusqu’à leur dernière cartouche, puis lancent leurs grenades ; enfin, ils
dégainent leur poignard.
« Si on se rend, ils
soigneront peut-être « p’tit vieux », suggère Etrich.
Pendant le combat, le
caporal Bouétard, dit « p’tit vieux », a souffert en silence. Il n’a
pas prononcé la moindre plainte ; il est cependant demeuré conscient. Les
trois compagnons rengainent leurs couteaux, jettent leurs armes inutiles, et
attendent. Prudemment les Russes s’approchent, leur ordonnent par gestes de
lever les bras.
Un
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