Qui ose vaincra
aucune précision concrète sur les lieux de
concentration des forces ennemies. Les S.A.S. sont en plein bricolage artisanal
et la chance va jouer à 90 %. L’objectif essentiel de leur mission est de
renseigner Londres par radio afin que les sauts ultérieurs de leurs compagnons
s’effectuent avec une marge croissante de sécurité.
« Nous arrivons sur
le littoral nord du Finistère, your home, fellows… »
Le convoyeur anglais a
dû hurler pour se faire entendre de tous. Les parachutistes répondent par des
sourires crispés, échangent des regards. Le mélange d’anxiété et d’exaltation
qui les étreint depuis le décollage est ancré sur leurs visages. Ils vivent la
plus belle nuit de leur vie, mais n’ignorent pas que c’est peut-être celle de
leur mort.
Du fond de l’appareil, le
sergent-chef Raufast s’est levé ; Gêné par son harnachement et par l’instabilité
de l’avion, il s’approche maladroitement de Marienne. Le lieutenant est assis, le
menton à hauteur des genoux. Il dévisage Raufast qui se tient debout devant lui,
se retenant de la main gauche au câble central. Le sergent a l’air tellement
ému que Marienne se demande ce qui peut bien lui arriver. Raufast sort de la
poche de sa veste un étui à cigarettes en argent ; il articule péniblement :
« Mon lieutenant… »
Il avait prévu d’en dire
davantage, mais il n’y parvient pas. Du reste c’est inutile. Les hommes de Marienne
ont tous le regard fixé sur le chef. Marienne sourit, ouvre l’étui. Il reste
six Players. Le lieutenant en extrait une, l’allume à l’aide de son
zippo, puis il sort de sa poche un paquet entamé et, soigneusement, dispose les
cigarettes dans l’étui.
Cet étui à cigarettes en
argent avait été offert au lieutenant Marienne par ses hommes à l’occasion du record
mondial de vitesse pour le saut groupé en parachute qu’ensemble ils avaient ravi
aux Américains un an auparavant. L’étui porte, gravées, les signatures des
participants. Quelques mois plus tard, à la suite d’un refus collectif d’obéissance
de la compagnie harassée par l’entraînement, Marienne avait rendu le cadeau, en
déclarant :
« Puisqu’il en est
ainsi, les rapports que nous aurons dorénavant ne me permettent pas de
conserver ce gage de notre amitié. À partir d’aujourd’hui, considérez-moi comme
votre chef, un point c’est tout. »
Aujourd’hui, quelques
instants avant la grande aventure du Jour J 1, le geste de Raufast, délégué
par tous, l’acceptation de Marienne, qui sans hésitation venait d’empocher l’étui,
remettaient leurs rapports à leur place.
13
D’un bond léger, le
chaton saute sur les cuisses d’Aloïs. Le gros Allemand dort, inconfortablement
assis sur une chaise de bois. Le chaton gratte la tunique de l’obèse, grimpe
sur son épaule, miaule, frotte son front contre le cou gras. Aloïs se réveille.
Instinctivement, il se retourne vers les deux lits de camp sur lesquels ronflent
Meiners et Frammler. Il est rassuré : les deux hommes ne se sont pas
aperçus qu’il s’était encore endormi pendant son tour de garde. Aloïs consulte
sa montre gousset : 23 h 25. Pesamment il se lève ; à l’aide
de sa lampe de poche il cherche la bouteille de calvados, il ne reste que deux
doigts d’alcool jaunâtre dans le fond. Aloïs les engloutit. Ça fera un litre
depuis 6 heures du soir, c’est plutôt moins que d’habitude. Il se rend au
placard, en extrait une seconde bouteille qu’il dispose près de la chaise. Ensuite
il verse un peu de lait dans un quart militaire qu’il va poser dans le coin du
chaton.
Aloïs a découvert le
calvados à son arrivée en Bretagne, neuf mois auparavant lorsque, de retour du
front russe, il fut versé dans un des deux bataillons spéciaux de la Wehrmacht
constitués de déficients physiques, principalement d’ulcéreux de l’estomac (le
cas d’Aloïs) et de malades des oreilles (le cas de Meiners et Frammier qui sont
sourds à 80 p. 100). Les trois hommes sont affectés à l’observatoire de
Plumelec qui n’est en fait qu’un vieux moulin hors d’usage, situé sur un
mamelon qui domine le petit village breton. Leur mission : observer et
rendre compte. Depuis près d’un an ils n’ont rien observé, ils n’ont rendu
compte de rien.
Ce sont trois braves
types, et les villageois et les paysans les ont presque adoptés. Ils
plaisantent volontiers avec eux,
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