Qui ose vaincra
venait de
rencontrer.
« Cet officier
français a tellement le physique de son emploi, avait-il déclaré au mess du
camp d’Auchinleck, qu’il en est indécent. Je suis persuadé qu’il s’est fait
couper le bras droit pour parfaire son personnage. Il a eu raison, il est
superbe, grandiose, impressionnant. Il me fait penser au capitaine Achab, le
héros de Moby Dick. Évidemment, Achab était amputé de la jambe, mais à
ce détail près…
— Vous avez raison,
avait rétorqué sèchement un capitaine français, Bourgoin court lui aussi après
une baleine blanche, mais cette baleine est la victoire de la France, et nous
lui souhaitons tous une issue plus heureuse que celle d’Achab dans son
entreprise. »
Quand Marienne entre
dans la baraque de commandement, Bourgoin se tient debout, jambes écartées, derrière
son bureau. Sa haute taille et sa carrure massive masquent les cartes que les
officiers convoqués cherchent à apercevoir. Sa manche morte est sanglée dans le
ceinturon de son battle-dress. Il a perdu le bras en Tunisie, mais cela n’a en
rien freiné son élan : le commandant a seulement appris à faire la guerre
de la main gauche. Malgré son infirmité il est demeuré un impressionnant
colosse. À sa droite se tient son adjoint, le capitaine Puech-Samson ; à
sa gauche, le capitaine Leblond.
Le lieutenant Botella, le
lieutenant Deschamps et le lieutenant Déplanté sont entrés sur les pas de Marienne.
Bourgoin leur désigne des chaises et des tabourets ; lui seul reste debout.
Il parle en savourant son effet :
« Le débarquement
est désigné par le nom de code « D. Day ». Pour nous, ce sera
le Jour J. Nous sommes à J – 4, ce qui signifie que les Alliés tenteront l’invasion
dans quatre jours. Marienne, Déplanté, Deschamps et Botella, vous serez parachutés
à J – 1.
— Donc, dans la
nuit qui précédera les premières vagues, mon commandant, interrompt Marienne.
— Exactement. »
Les quatre officiers s’efforcent
de ne pas laisser éclater leur enthousiasme.
« Notre mission
sera d’assurer un maximum de sécurité sur les plages de débarquement ?
— Là, vous n’y êtes
plus du tout, Marienne. Le débarquement doit avoir lieu en Normandie. Vous, vous
sauterez en Bretagne. Votre mission est de préparer le parachutage de l’ensemble
du bataillon qui vous rejoindra par petits groupes chaque nuit, jusqu’à J + 10.
Notre mission est en même temps imprécise et simple : bloquer les forces
ennemies cantonnées en Bretagne. Empêcher par tous les moyens le déplacement
des Allemands vers la Normandie. Entre le Morbihan et les Côtes-du-Nord, ils
disposent d’un minimum de cent cinquante mille hommes, pour la plupart des
troupes d’élite. Nous devrons les harceler, leur faire croire que notre action
constitue le prélude à un nouveau débarquement. Lequel, du reste, n’est pas
exclu.
— La Résistance, mon
commandant ?
— Inexistante, d’après
les renseignements anglais. Il y aurait plus d’un an qu’elle a été démantelée
et anéantie. Par contre, il semble que nous puissions compter sur la population
civile à quatre-vingt-dix-neuf pour cent. C’est un apport qui est loin d’être
négligeable : vous pourrez recruter et armer des volontaires, les instruire
le cas échéant.
— En admettant que
la totalité du bataillon nous rejoigne en Bretagne, nous serons tout au plus
quatre cents hommes pour en immobiliser cent cinquante mille !
— À quoi vous
attendiez-vous ? On vous a entraînés pour ça. »
5 juin 1944. Le
quadrimoteur Stirling n° 1 a décollé de Fairford à 21 h 50.
À 21 h 55, un second appareil de même type a suivi. Dans le premier, les
groupes des lieutenants Marienne (sept hommes) et Botella (six hommes) : l’avion
doit larguer le groupe Marienne dans le Morbihan, puis au retour le stick Botella
dans les Côtes-du-Nord. Même consigne pour le second Stirling : le lieutenant
Déplanté et ses hommes seront parachutés dans le Morbihan, le lieutenant
Deschamps et les siens dans les Côtes-du-Nord.
Le groupe de Marienne
comprend trois radios : Sauvé, Etrich et Jourdan ainsi que trois hommes :
Kry-sik, le caporal Bouétard et le sergent-chef Raufast.
Les sept parachutistes
savent qu’ils sont les premiers. Les Américains doivent sauter une heure plus
tard en Normandie. Le point de largage des Français a été choisi d’après les
photos aériennes. Ils n’ont
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